À la faveur de la journée de la Fête de la Musique, le 21 juin, le Reggae était à l’honneur au Musée des civilisations noires (Mcn). Assez rare pour être souligné même si le Sénégal compte encore de nombreux adeptes de ce genre musical.
Une première qui fera dire à Dread Cheikh Amala Doucouré, animateur et gérant du « Bufalo soldier music shop », que les « choses commencent à bouger ». Foi d’un connaisseur. Faisant allusion à la prise en compte (enfin) du reggae dont les vibrations ne cessent de hanter certains depuis l’avant-création de cette fête de la musique qui date de 1982.
Alors, « reggae hit the town », comme le glorieux titre des Ethiopians de 1980, pour dire que le genre a pris toute sa place ce jour. Une conférence y a donc eu lieu, ayant pour soubassement l’immense œuvre d’Alassane Bèye sur le « Reggae, chronique d’une musique magique », et mettant aux prises le même Dread Cheikh Amala Doucouré et l’icône rastafari de Gorée, Ras Makha Diop.
Et comme modérateur, votre serviteur. Le débat sera suivi d’un concert animé par le groupe « Timshel Band » et avec de nombreux autres artistes : Sister Ouly, Iba Guèye Massar, Ndiaga Diop de « Be one Africa », Dread Max Youssoufou… Le panel permettra donc à Alassane Bèye, surnommé Tom Kingston Boy, de mettre en exergue ses connaissances sur l’histoire de l’île jamaïcaine, berceau du reggae. Mais surtout de montrer les différentes tribulations des époques esclavagiste et coloniale qui feront le lit de la révolte et du refus.
D’illustres figures noires ressortiront dans le tableau qu’il dressera dans la lutte contre la domination, l’exploitation, le travail forcé… Paul Bogle, Nani, Marcus Gavey…
L’on aura vite compris que l’injustice féconde la révolte et le refus de tout ordre. La musique reggae jamaïcaine sera fécondée, après différentes étapes allant du ska, du rocksteady au old reggae, par cette révolte et ce désir d’en finir avec un ordre esclavagiste et colonial. Notons la mémoire d’historien de M. Bèye, pourtant comptable de formation.
L’Afrique dans tout ça ? Reggae et rastafarisme renvoient à deux réalités différentes, même si le genre musical connaitra son envol lorsque ses animateurs adopteront le second comme religion ou mode de vie.
Une dimension religieuse, pas très acceptée au Sénégal par la grande majorité, n’empêche que le reggae renferme cette force de refus et de combat qui devrait permettre une autre approche du monde. Des rapports avec les autres. Avec la religion. Le reggae est d’une essence symbolisée par un message engagé pour une prise de conscience conduisant naturellement à l’émancipation et au refus de la servitude et de la domination.
Ce n’est donc pas seulement qu’une onde de vibrations ou un feeling passager. Mais plutôt un engagement pour son prochain. Mettant les pieds dans le plat, Cheikh Amala dira que « le message de Bob Marley pour l’émancipation doit nous parler pour qu’on puisse s’affranchir de l’esclavage mental indépendamment de l’inexistence de chaînes qui ne nous donne pas de liberté ».
Mieux encore, il se demandera, en convoquant des faits de société, pourquoi, diantre, les Africains sont les plus prompts à singer les autres où à adopter le mode de vie, la religion des autres. L’actualité du pèlerinage à La Mecque et son prolongement en « Ganalé » (fête organisée au retour des pèlerins), où des milliards de FCfa qui auraient pu servir au financement d’infrastructures sanitaires, éducatives sont dépensés, a été convoquée pour alimenter le débat. Une discussion qui ne renie pas la religion.
Ou encore la place de l’État dans sa posture naturelle. Mais plutôt à ne pas croire au prédicateur qui te promet le paradis céleste tout en voulant, lui-même, se construire un paradis terrestre avec tes biens. Secouant le cocotier, les rastas ont rappelé la nécessité de « libérer le peuple avec la musique reggae ».
De faire bouger les lignes pour un nouveau monde, meilleur celui-là. Pas forcément détaché des croyances. Mais avec une conviction et une foi intimes et inébranlables pour l’avènement d’une humanité réconciliée avec elle-même. Un véritable « chant down Babylone » que cette journée de fête.
L’expression renvoyant à la destruction de ce système et à la création d’un monde meilleur, souvent associé à la vision de Sion (Zion), lieu de paix et de spiritualité. Elle est aussi un appel à la lutte contre l’oppression et à l’établissement d’un monde plus juste et spirituel, en adéquation avec les valeurs. ibrahimakhalil.ndiaye@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)