Le Mali étouffe. Depuis septembre, le pays subit un blocus djihadiste implacable. Des bandes armées à moto, sans foi ni loi, ont réussi à perturber la principale chaîne d’approvisionnement en produits essentiels en semant la terreur le long du corridor Dakar-Bamako.
Ignorer cette réalité reviendrait à se voiler la face ou à céder à une propagande savamment orchestrée. Les informations provenant du pays ne sont guère rassurantes, malgré l’intense communication déployée ces derniers jours. Les plaintes des populations privées de carburant et d’électricité résonnent comme des supplications. Elles traduisent un appel à l’aide qu’elles n’osent formuler publiquement, paralysées par la peur ou par un orgueil tenace. Plutôt que d’affronter la crise, certains préfèrent accuser les médias qui proposent une lecture différente de celle des canaux officiels. La vieille méthode consistant à attaquer le messager lorsque le message dérange est désormais éculée. La situation est si grave que plusieurs pays occidentaux ont ordonné à leurs ressortissants de quitter immédiatement le Mali.
D’autres chancelleries ont récemment rapatrié leur personnel non essentiel. Même le géant italo-suisse du transport maritime Msc a annoncé la suspension « jusqu’à nouvel ordre » de ses livraisons terrestres vers le Mali, invoquant des « problèmes de sécurité ». Il n’y a pas de fumée sans feu. Reconnaître un problème, c’est déjà amorcer sa résolution. Le déni, lui, ne fait que l’aggraver. Pourtant, malgré les témoignages des routiers sénégalais et les nombreuses vidéos – parfois instrumentalisées, certes – montrant l’ampleur des blocages, les autorités maliennes refusent d’admettre l’évidence. Une évidence qui meurtrit les populations maliennes autant que les Sénégalais attachés à ce pays frère, auquel les lient une histoire et une géographie communes.
Cette interdépendance s’est illustrée la semaine dernière avec la visite au Sénégal d’une délégation ministérielle malienne. Ce déplacement confirme la gravité de la crise qui étrangle le Mali. L’objectif était clair : trouver les moyens de remettre en marche le corridor Dakar-Bamako, quasiment paralysé depuis trois mois. Les discussions ont porté sur la situation économique et logistique du Mali et sur les conséquences directes pour cette route stratégique par laquelle transite l’essentiel de ses marchandises. Les officiels sénégalais évoquent 80 % des échanges terrestres passant par les plateformes logistiques du Sénégal ; les Maliens parlent de 60 à 65 %. Quelle que soit la proportion exacte, la vérité est qu’« il n’y a pas d’économie sénégalaise forte sans un Mali stable, prospère et connecté ni de commerce malien performant sans un Sénégal ouvert, sécurisé et coopératif », pour reprendre les propos du président de la Chambre de commerce de Dakar. La situation se lit aussi à travers un chiffre : près de 2 400 conteneurs sont actuellement bloqués au port de Dakar.
Ils privent le Mali de biens vitaux et risquent de provoquer un goulot d’étranglement pour le port lui-même. Or, la rapidité de la manutention est un indicateur essentiel de performance : des conteneurs immobilisés empêchent les navires de décharger et font grimper les coûts. Les armateurs, eux, se détournent vite vers d’autres ports. Dans un contexte de concurrence accrue, alors que le port de Dakar a récemment amélioré sa gestion des flux, le Sénégal ne peut se permettre une paralysie prolongée. Le défi immédiat est clair : décongestionner le port pour préserver la fluidité du transit et la compétitivité de la chaîne logistique alimentant le marché malien. Et parce que le Mali suffoque, le Sénégal est lui aussi fragilisé. Les deux pays sont liés par un mariage de raison et de cœur. Leurs économies sont si imbriquées qu’une réponse conjointe s’impose. À ce titre, les mesures de facilitation annoncées par Dakar – notamment l’annulation des surestaries et des frais de magasinage pendant trois mois – méritent d’être saluées. Mais cet effort économique doit désormais s’étendre au domaine sécuritaire. Car un Mali qui vacille, c’est le dernier rempart du Sénégal contre l’avancée djihadiste qui se fissure, avec toutes les conséquences humanitaires que cela implique.
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