L’élection de Zohran Mamdani comme maire de New York a été abondamment commentée en Afrique. En Ouganda, où il est né et dont il possède la nationalité, nombre d’habitants ont ainsi exprimé leur fierté, certains le considérant comme l’un des leurs et affirmant qu’il est une source d’inspiration.
Il est vrai, comme c’était le cas avec l’élection d’Obama, en 2008, qu’il coche plusieurs cases sur le registre de l’inédit : plus jeune maire de New York depuis un siècle, le premier socialiste revendiqué et le premier musulman… Son élection dépasse les enjeux locaux. Il incarne l’autre visage de l’Amérique, celle qui tire sa force dans la diversité et l’immigration, à l’opposée de celle incarnée par Donald Trump et le Maga (Make America Great Again), xénophobe et repliée sur elle-même… Son père, Mahmood Mamdani, un éminent universitaire ougandais, a travaillé pendant plus de 10 ans à l’Université Makere, la principale et la plus ancienne du pays. Pour la petite histoire, il a dirigé le Codesria entre 1998 et 2002. Il a rencontré sa femme, la célèbre réalisatrice Mira Nair, à Kampala alors qu’elle effectuait des recherches pour Missippi Masala, un film sur l’expulsion des Asiatiques d’Ouganda en 1972 sous le régime d’Idi Amin Dada.
Mahmood faisait partie, à l’époque, des dizaines de milliers de personnes d’origine asiatique à se réfugier au Royaume-Uni, puis en Tanzanie, avant d’enseigner aux États-Unis. D’origine soit indienne, soit pakistanaise, les Asiatiques installés en territoire ougandais sont de nationalité ougandaise -c’est le cas de beaucoup de Pakistanais -ou ressortissants britanniques pour une majorité d’Indiens. Quelques-uns de ces immigrés sont arrivés en Afrique orientale au moment de la colonisation britannique, mais la plupart d’entre eux ne sont venus en Ouganda qu’au moment de la partition de l’ancien Empire des Indes, fuyant les massacres qui accompagnèrent les déplacements de populations et les affrontements entre musulmans et hindouistes. Comme au Kenya, en Tanzanie, en Zambie, à Madagascar ou à l’Île Maurice, les Asiatiques occupaient une place prépondérante dans le commerce local.
Ils contrôlent une partie des exportations et des importations, possèdent de nombreuses boutiques et jouent dans cette partie du continent noir un rôle qui rappelle celui des Libanais et des Syriens en Afrique occidentale. L’élection de Zohran Mamdani est une nouvelle preuve que le rêve américain n’est pas un vain mot ; ce qui rend ce pays unique au monde, en dépit de tout ce que l’on peut dire sur sa politique migratoire actuelle. Il est vrai qu’un fils d’émigrés indiens -Rishi Sunak– a siégé au 10 Downing Street, la résidence officielle du chef du gouvernement britannique, mais les exemples sont rares dans le monde. En Afrique, c’est encore plus improbable de voir, dans les conditions actuelles, un Peulh de la Guinée devenir maire de Dakar ou un fils d’émigrés zimbabwéens être élu président de l’Afrique du Sud. Certes, une descendante d’émigrés libanais, Soham Wardini, a occupé le poste de maire de Dakar, mais c’était dans un contexte particulier.
Rien ne dit qu’elle n’aurait pas pu arriver à ce poste par la voie des urnes, mais… Il aurait été encore plus improbable de voir Mamdani conquérir la mairie de Kampala s’il était resté dans ce pays. Au Sénégal, pays tolérant et accueillant, les émigrés n’ont jamais été victimes de persécution comme on a pu le voir ailleurs en Afrique. La communauté libano-syrienne, l’équivalent des Pakistanais d’Ouganda, est très bien intégrée et ses intérêts économiques n’ont jamais été menacés par les différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays depuis 1960. La candidature de Rose Wardini lors de la présidentielle de mars 2024 avait été recalée sur des bases purement légales.
Cependant, depuis un certain temps, un discours xénophobe digne de la théorie du « grand remplacement » est véhiculé par certains leaders politiques et une partie de la population, ciblant notamment les Peuls de la Guinée. Nous comprenons la peur que peut susciter « l’autre », surtout s’il est différent de « nous », et la nécessité pour chaque pays de protéger ses frontières et sa population contre l’émigration sauvage, mais notre intime conviction, c’est que l’Afrique n’atteindra la maturité politique que quand un Africain bénéficiera des mêmes droits politiques partout sur le continent, indépendamment de ses origines. Or, même la libre circulation est loin d’être un acquis. Plus que les discours enflammés, le vrai panafricanisme devrait d’abord s’attaquer à ces chantiers.
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