Partir. Par tous les moyens. Les longues files d’attente devant les bureaux d’orientation d’accueil et de suivi (Boas) pour s’inscrire au programme de migration circulaire vers l’Espagne ont remis au devant de l’actualité le désir d’ailleurs de la jeunesse sénégalaise.
L’accumulation de signifiants négatifs que représente la société d’origine – saturation du marché du travail en milieu urbain, chômage endémique, détérioration des conditions de vie en milieu rural, crises politiques et environnementales, effritement des solidarités familiales – favorise en creux l’émergence de signifiants positifs à l’égard des lieux d’accueil. Symboles d’abondance, de modernité et de liberté, l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique renvoient une image idéalisée de l’eldorado comme issue à une société bloquée. Dès lors, cet imaginaire migratoire, nourri quotidiennement d’oppositions fondées sur un proche détérioré et un lointain de tous les possibles, au bout duquel la réussite est entrevue, renforce chaque jour un peu plus le désir de passer à l’acte, souligne Régis Minvielle dans son ouvrage « Le bout de la terre » (L’Harmattan, 2020) consacré aux migrants africains à Buenos Aires. Cet imaginaire positif de l’ailleurs est alimenté par le flux d’images d’opulence et de bonheur diffusé par les télévisions, les réseaux sociaux qui brouillent les catégories de perception et de jugement.
Mais l’eldorado se transforme souvent en quête imaginaire et le Nord se révèle hors d’atteinte. Hélas, comme on le sait, beaucoup de candidats se retrouvent dans « le ventre de l’Atlantique » (Fatou Diome). Le danger de la mort n’a jamais dissuadé les candidats à l’émigration. Pas plus que le durcissement des politiques migratoires en Europe et aux Etats-Unis. Que vaut d’ailleurs la mort devant la honte de l’échec ? C’est là le nœud du problème. Dans une société du paraître, tout est perçu à l’aune de la réussite.
C’est pourquoi, au Sénégal, la migration est au cœur des stratégies individuelles et familiales et le visa se substitue progressivement au diplôme en tant que valeur sociale et symbole de réussite. Ce qui fait des migrants des messagers du sens. Quel est ce sens ? Pour leur société d’origine, c’est le reflet d’un échec collectif. Celui d’une société qui a perdu ses ressorts moraux et éthiques et a échoué à aider cette jeunesse à « tenir », malgré les difficultés et les déceptions répétées face à un avenir incertain. On peut aussi y voir la haine de soi. Il est évident, malgré les discours optimistes sur l’avenir de l’Afrique comme continent du futur ou encore les taux de croissance mirobolants, qu’une part non négligeable de notre jeunesse n’a plus confiance, ni en elle-même, ni à nos élites politiques, sociales et religieuses pour changer positivement leur destin.
L’attrait de l’ailleurs est plus fort que le désir de se battre ici. Il faut un nouveau contrat de confiance entre la jeunesse et ceux qui ont en charge la gestion de nos pays. Il faut aussi reconstruire – à travers la famille, l’école, la politique – les infrastructures psychiques et sociales pour redonner à cette jeunesse en perdition l’estime de soi, la patience, le culte du travail… Il convient d’ailleurs de réinterroger la notion de réussite qui ne saurait se mesurer simplement à la hauteur des immeubles construits et des 4×4 acquis. Dans tous les cas, on ne peut pas faire l’économie d’une introspection globale pour inventer autre chose parce que visiblement, les réponses classiques (du genre, « il faut créer des emplois », « il faut criminaliser l’émigration clandestine ») ne suffisent plus ! Pour les sociétés d’accueil, c’est un message d’altérité qu’apportent ces migrants. L’arrivée de l’étranger, a fortiori quand il vient de très loin, soulève parfois de la crainte, de l’animosité auprès de la population autochtone. Rarement de la compassion.
Cet ailleurs (l’Afrique) que le migrant charge dans ses valises véhicule aussi un imaginaire fantasmé ou méprisé. L’accueil qui lui est réservé n’est-il pas finalement le produit de cet ensemble de perceptions ? seydou.ka@lesoleil.sn