On ne fait pas plus inoxydable que Moustapha Niasse. L’homme a traversé les régimes comme d’autres traversent les décennies : sans jamais perdre l’équilibre. Il a été là sous Senghor, il a été là sous Diouf, il a été là sous Wade, il a été là sous Macky. Et aujourd’hui, après une carrière aussi longue qu’un discours de politique générale à l’Assemblée nationale, il s’apprête à passer la main.
Il y a quelque chose de fascinant chez ces hommes politiques capables de rester dans le jeu, quoi qu’il arrive. Niasse a tout connu : les palais feutrés, les salles de réunion enfumées, les trahisons en douce, les alliances inattendues. Il a été ministre, Premier ministre, président de l’Assemblée, chef de parti, faiseur de rois et éternel survivant. On le disait fini en 2000, et il est revenu. On le disait marginal en 2012, et il s’est retrouvé troisième homme de la présidentielle avant de rallier Macky Sall et de prendre la tête du Parlement. L’art de toujours retomber sur ses pieds.
Dans un pays où les carrières politiques s’éteignent parfois aussi vite qu’un feu de paille, Niasse a su durer. Pas en faisant du bruit, pas en jouant les tribuns enflammés, mais en restant là, solide, discret, patient. Il n’a jamais eu le panache d’un Wade, ni l’aura d’un Senghor, ni même la ruse d’un Macky Sall. Mais il a eu cette qualité rare : la constance. Il n’a jamais brûlé ses vaisseaux, jamais claqué la porte trop fort, jamais insulté l’avenir. Résultat : il a toujours trouvé une porte ouverte quelque part. Aujourd’hui, il dit vouloir tourner la page.
Quitter la vie politique, laisser l’Afp à d’autres. Peut-être. Mais après tant d’années à tirer les ficelles, peut-on vraiment s’arrêter ? Peut-on se contenter de regarder le jeu sans y participer ? Il y a fort à parier que Moustapha Niasse restera, d’une façon ou d’une autre, une voix qui compte. Un de ces sages que l’on consulte, que l’on écoute, qui glisse un conseil ici, une mise en garde là. Car quand on a passé une vie à faire de la politique, on ne raccroche jamais vraiment. On fait semblant, c’est tout.
Succéder à Niasse ? Bonne chance. Il avait « choisi l’espoir » le 16 juin 1999, combattu vigoureusement Abdou Diouf et Ousmane Tanor et fait chuter l’historique Parti socialiste. Son devoir accompli, Moustapha Niasse s’en va. Enfin, c’est ce qu’il dit. Après une carrière aussi longue qu’un embouteillage sur l’Autoroute de l’Avenir, le patron de l’Afp prépare donc sa sortie. Il l’assure, il passe la main. À qui ? Ça, c’est une autre histoire. Parce que prendre la relève d’un homme qui a fait de la longévité un art, ce n’est pas une mince affaire.
Niasse, c’était la boussole de l’Afp, le dernier des mohicans du socialisme à la sauce sénégalaise. Il a traversé les régimes, évité les tempêtes, toujours su quand s’accrocher et quand lâcher du lest. Le remplacer, c’est un peu comme vouloir rejouer «La Tragédie du roi Christophe» sans Douta Seck. Alors, qui ? Un fidèle lieutenant ? Un jeune loup ? Un ancien repêché des marées politiques ? Il faudrait quelqu’un d’assez habile pour maintenir l’Afp à flot, d’assez respecté pour ne pas la voir exploser en vol et d’assez patient pour attendre le prochain virage de l’histoire.
Et surtout, d’assez malin pour faire oublier qu’en dehors de Niasse, l’Afp, c’était surtout… Niasse. On nous dit qu’il y a des prétendants. Bien sûr. Il y en a toujours. Mais tenir le gouvernail après un capitaine aussi endurant, c’est une autre paire de manches. Parce qu’après le départ du sage, il reste souvent une question en suspens : à quoi sert un parti sans son pilier ?
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