Le journalisme est beau et exaltant quand il est bien exercé. Par des hommes et des femmes passionnés, intègres, soucieux de l’intérêt général et prêts à tout sacrifier, y compris leur vie, pour faire triompher la vérité et la justice, combattre la corruption et défendre les libertés.
Seulement, ces hommes et femmes là, professionnels dans l’âme, intransigeants sur les règles d’éthique, de déontologie et alliés naturels des faibles, des opprimés et des persécutés, ça ne court malheureusement pas les rues. Voilà pourquoi quand on a la chance d’avoir une de ces espèces devenues si rares dans cet univers de désinformation en perpétuelle mutation, on est forcément marqué, ébloui et rempli de bonheur. C’est ce qui m’est arrivé, samedi soir, 22 mars, en jouant avec ma télécommande. Par pur hasard, me voici face-à- face avec un invité exceptionnel, un invité pas comme les autres de l’émission « Quelle époque » diffusée sur France 2 (Chaine publique française) : Victor Castanet, lauréat du prestigieux prix Albert Londres 2022. Le journaliste d’investigation était venu parler de son œuvre « Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos ainés ». Un livre-enquête qui l’a révélé au monde entier et qui sera bientôt adapté au cinéma.
Fruit de trois années d’enquête, ce brulot de 400 pages met en lumière les dysfonctionnements des Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) en France. L’auteur y dénonce les dérives d’Orpea (un groupe privé français actif dans le domaine de la santé et de l’hébergement des personnes âgées gérant une chaîne d’Ehpad privés, de maisons de retraite et de cliniques de soins) qui avait mis en place tout un système mafieux impliquant des fonctionnaires et des élus pour détourner l’argent public. Au détriment des pensionnaires victimes de maltraitance. Certains d’entre vous ont peut-être eu le privilège de lire cette immense œuvre. Mais écouter Victor nous parler de ce qu’il a vécu, nous raconter son histoire, l’histoire du livre, les menaces qu’il a subies, les offres qui lui ont été faites pour abandonner son enquête, n’a rien de comparable. Admirable ! Fantastique ! Ce fut un régal. Une belle aventure humaine et journalistique. On fait d’abord connaissance avec ce passionné, débordant de liberté et d’enthousiasme.
Un jeune journaliste au statut très précaire. Victor Castanet était pigiste (journaliste indépendant), sans contrat ni couverture quand il a entamé son livre. Tout était donc réuni pour que la moindre difficulté le fasse fléchir. Mais rien de tout cela n’est arrivé. Il est resté solide, debout, menant à bout son travail. « J’ai tout entendu, du genre « ce petit journaliste, « barre-toi », « fous-nous la paix », ou encore « tu le regretteras », partage Victor Castanet, répondant à la présentatrice Léa Salamé. Et tout le monde est resté bouche bée quand le journaliste d’investigation a réaffirmé avoir reçu une offre mirobolante que peu de gens sur terre peuvent rejeter : 15 millions d’euros pour acheter son silence. « Quand les dirigeants d’Orpea ont vu que je suis déterminé à mener à bout mon enquête. Et que celle-ci avançait, ils m’ont proposé 15 millions d’euros.
Mais, ces gens ne savaient pas à qui ils avaient affaire. C’était mal me connaitre. Moi, en choisissant d’être journaliste, il était clair dans ma tête que je n’allais pas gagner de l’argent. Dans ce métier, ce sont les valeurs d’abord, la carrière après », dit Victor Castanet. Impressionnant ! Inspirant ! Qui nous réconcilie ainsi avec le journalisme des faits comme on aimerait bien le voir pratiquer, alliant rigueur, mental, abnégation, honnêteté et intégrité. Et c’est une fois l’émission terminée, favorisant une reconnexion avec les réalités sénégalaises, qu’on se rend compte qu’il y a décidément journaliste et journaliste. D’un côté, il y a les pseudo-journalistes impliqués dans tous les dossiers nébuleux et cités dans presque tous les scandales financiers et fonciers. De l’autre, les vrais journalistes, comme Victor Castanet, adeptes de la transparence, qui ont ce majestueux mérite : celui de nous rendre fiers d’avoir choisi ce noble et beau métier. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn