Ces derniers temps, la Grande faucheuse s’est déchaînée. Comme un ouragan, une tempête de neige en plein hiver. Pas un jour sans qu’on ne nous annonce un décès. Sans doute, me diriez-vous, c’est le cycle normal de la vie. D’accord, mais des fois elle s’acharne sur nous à tel point que nous avons comme l’impression qu’elle a une dent contre nous, qu’elle veut nous montrer sa toute-puissance.
La mort, dans notre imaginaire, est un déchirement, une disparition tragique et nous vivons tous dans cette constante angoisse de trépasser parce que nous sommes tous confrontés, d’une manière ou d’une autre à la mort, celle de nos proches et même de notre propre mort qui est inévitable. Mais comme aimait à nous le rappeler un vieux sage, il était impossible de se préparer à notre propre enfantement, contrairement à notre mort contre laquelle nous n’avions aucune action, aucun remède. Un de mes cousins, atteint de thanatophobie (sentiment de peur lié à la mort), avait tellement peur de la mort que quand quelqu’un venait à perdre la vie chez nous ou dans le voisinage, il désertait le quartier et ne revenait que le lendemain.
Un jour que nous étions partis repêcher le corps d’un neveu qui s’était noyé en voulant se baigner au fleuve, il avait sauté du véhicule en voyant à l’arrière la dépouille installée sur un brancard et détalé comme un lièvre apeuré. Il avait fait le trajet retour, une distance de sept kilomètres, à pied. Avec l’âge, il a réussi à remplacer sa peur par la foi, la résignation. Pour une grande majorité d’entre nous, la mort reste une angoisse récurrente. Comme beaucoup de gens, j’ai été très tôt confronté à la mort. En 1985, alors que nous venions à peine de débarquer dans la belle et florissante région de Ziguinchor, la mort nous avait souhaité, d’une effroyable manière, la bienvenue en emportant mon jeune frère.
Innocent et insouciant, je ne savais pas, à l’époque, ce qu’était la mort. Pour nous cacher la mort de notre frangin, nos parents nous avaient demandé d’aller jouer loin de la maison. Tout guillerets, nous avions vaqué à nos occupations sans nous douter de ce qui se passait. À notre retour, grande fut notre surprise de découvrir que notre frère avait miraculeusement disparu. Contrairement à ce qu’on nous avait fait croire, il reposait six pieds sous terre, au cimetière de Belfort. Toute âme, quelle qu’elle soit, goûtera à la mort. Malheureusement, les charmes de la vie terrestre nous trompent au point d’oublier parfois que tôt ou tard, Malak al-Maut, l’ange de la mort chargé de recueillir les âmes des défunts et de les emmener vers leur destination finale, toquera à notre porte.
Que l’on soit preux ou gueux, riche ou miséreux, dévot ou mécréant, la mort n’épargne personne ; elle survient quand elle veut et frappe toujours, sans prévenir. Elle n’appelle pas, n’envoie ni mail ni messages WhatsApp pour avertir ses victimes. Et aujourd’hui, d’aucuns donneraient tous leurs biens pour lui échapper, mais personne n’échappe à la mort qui est indissociable de la vie ; l’une ne peut aller sans l’autre. À chacun son tour de passage aux ténèbres. Chaque jour, elle accomplit le plus discrètement sa mission et ne rentre jamais bredouille. Et le compte à rebours ne s’arrête jamais, même pour une seconde. Dans la sourate Al-Anbiya (Les Prophètes), Allah, dans les versets 34 et 35 a adressé un rappel solennel au Sceau des Prophètes et à la communauté entière sur l’inéluctabilité de la mort : « Et Nous n’avons attribué l’immortalité à nul homme avant toi.
Est-ce que si tu meurs, toi, ils seront, eux, éternels ? Toute âme doit goûter la mort. Nous vous éprouverons par le mal et par le bien [à titre] de tentation. Et c’est à Nous que vous serez ramenés ». Malheureusement, le constat est que les mortels détestent le rappel de la mort. Personne n’aime la mort. Une discussion sur ce sujet n’aura pas beaucoup de candidats. D’ailleurs, beaucoup plaideraient la suppression de la mort qui symbolise le néant. On la redoute et son évocation fait peur. De même que la traversée du pont Sirât qui surplombe l’Enfer. Et les châtiments de la tombe… Vivre, c’est forcément mourir, à un moment ou à un autre. Le côté positif de la mort est qu’elle nous rappelle que rien sur terre n’est éternel. Que la vie sur terre n’est que transitoire. La mort nous incite à accomplir le bien, à rester sur le droit chemin et à faire de bonnes œuvres, car le Tout-Puissant ne nous a pas seulement créés pour manger, boire, se remplir la panse, dormir, procréer, pécher …
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