Tous les ans, le premier jour du mois d’avril est l’occasion de faire des blagues à son entourage. Hommes politiques, acteurs publics, amis, proches, collaborateurs, tous s’y mettent, rivalisant d’imagination et d’astuces pour tromper, plaisanter et faire rire. Il est aussi de coutume de faire des canulars dans les médias, aussi bien presse écrite, radio, télévision que sur Internet.
« Tout ça est très carnavalesque, on se moque en toute impunité des autorités, il y a beaucoup d’ironie, mais aussi beaucoup d’hypothèses », explique l’historienne des fêtes, Nadine Cretin, spécialisée en anthropologie religieuse. Cette date du 1er avril trouve ses origines dans le changement de calendrier instauré en France au XVIe siècle. Avant l’édit de Roussillon de 1564, le Nouvel An était célébré autour du 1er avril. Lorsque la date fut déplacée au 1er janvier, certains continuèrent à offrir des cadeaux à cette période, qui se transformèrent peu à peu en faux présents et en blagues. Dans d’autres pays, comme l’Angleterre, cette journée est associée à des traditions carnavalesques ou satiriques. Mais beaucoup de personnes eurent des difficultés à s’adapter au nouveau calendrier, d’autres n’étaient pas au courant du changement et continuèrent à célébrer le 1ᵉʳ avril selon l’ancienne tradition. Et l’on se moquait d’elles en racontant à ces étourdis des histoires pour rire et en leur accrochant de faux poissons correspondant à la fin du carême.
« C’était le jour des fous, le jour de ceux qui n’acceptent pas la réalité ou la voient autrement », selon l’historien Robert Delort, dans son livre Les animaux ont une histoire. Comme on peut donc le voir, le 1er avril est une occasion unique de célébrer l’humour et la créativité. On raille, on ironise, de petites piques quelques fois, mais la tradition veut que cela se termine toujours par une ambiance sympathique de fraternité et de fête. Voilà pourquoi la passe d’armes constatée entre Mamadou Ibra Kane du Cdeps (président du Conseil des Diffuseurs et Editeurs de presse du Sénégal) et Amadou Ba (député de la mouvance présidentielle) a été un regrettable incident. Qui pouvait être évité si on avait mis en avant l’esprit carnavalesque à la base de cette tradition historique. Tout est parti, rappelons-le, du tweet du président de « Demain c’est maintenant » (Dcm) : « Le député Amadou Ba de Pastef retire sa proposition de loi interprétative de la loi d’amnistie de mars 2024… Source : Ndiongolor News… On est le 1er avril, on peut se permettre un tel canular, qui aurait pu faire la Une d’un journal -si ce n’est déjà le cas. Un bon sondage sans doute : l’opinion est largement favorable au retrait de cette proposition de loi polémique ». Bien évidemment, c’était un canular fait par le journaliste-politicien.
Malheureusement, pour le pastéfien, l’auteur de ladite loi, c’est une blague inacceptable qui ne pouvait passer. « Quand le patron de la presse sénégalaise s’amuse à annoncer le retrait de la loi d’interprétation de la loi d’amnistie… Plus ils manipulent, plus ils deviennent les alliés objectifs de l’ancien régime, comme ils l’ont toujours été durant la sanglante répression, sous couvert d’une pseudo-neutralité corporatiste ». Une réaction disproportionnée. Enrobée dans une terrible confusion : Mamoudou Ibra Kane, président de Dcm et l’auteur du tweet « poisson d’avril » est différent de Mamadou Ibra Kane, président du Cdeps. La suite, on la connaît, c’est l’ouverture d’un front par Mamadou Ibra Kane qui dit avoir été diffamé et injurié. Des escarmouches politico-médiatiques qui pouvaient pourtant être évitées.
Et c’est un quotidien belge de langue française (Libre Belgique) qui annonce l’originale recette : l’élevage de poissons d’avril. « Vu le contexte actuel, où l’information de qualité est tous les jours mise à mal par un flot de fake news et d’annonces détonantes, nous souhaitons accompagner nos lecteurs au quotidien dans leur esprit critique pour mieux s’armer contre la désinformation généralisée. C’est pour sortir de ces eaux troubles que nous lançons, ce mardi, un élevage de poissons d’avril. Ainsi, chaque jour, une information totalement fausse et infondée sera glissée dans nos colonnes. En poussant nos fidèles abonnés à partir à la pêche à cet intrus dans chaque édition, nous espérons participer à la formation d’un esprit critique collectif qui vous évitera de mordre au premier hameçon de la désinformation ». Belle motivation, nouveaux enjeux de l’information. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)