«La sécurité est la condition qui rend possible le reste. » En se référant à l’assertion de l’historienne et économiste Emma Rothschild, l’on serait tenté de dire que c’en est fini pour la lutte sénégalaise avec frappe, ce « Sport bien de chez nous », après le communiqué du ministre de l’Intérieur tombé le soir du mardi 18 février.
Le ministre reste catégorique, nonobstant ses obligations régaliennes d’assurer, en tant que bras armé de l’État qui est le seul détenteur du monopole de la violence légitime, de ne plus couvrir les séances de lutte sur toute l’étendue du territoire national. Cette décision, aux conséquences multiples, signe un arrêt de mort de la lutte. Ou sa suspension momentanée synonyme de l’envoi en chômage technique de ses acteurs. La décision fait, certes, suite aux récurrentes scènes de violence qui émaillent les journées et soirées de combat de lutte à longueur d’affiches. Mais surtout après qu’un honnête citoyen a succombé à ses blessures dues à une agression après le combat de lutte entre le Pikinois Ama Baldé et le Parcellois Franc.
Une affiche qui a vu Franc prendre, sans bavure, le dessus sur le fils de Falaye Baldé. L’on pourrait, à la vérité, dire que les meetings politiques, les matches de « Navétanes » ou du championnat national, et de nombreuses autres activités charrient un phénomène de violence qu’il est urgent d’endiguer. Ces scènes de violence ne sont donc pas propres au monde de la lutte. Un décompte macabre fait déjà état de 17 personnes tuées, à la suite d’agressions post-combats de lutte, depuis l’ouverture de l’Arène nationale à Pikine en juillet 2018. L’implantation de l’Arène en zone urbaine ne nous semble pas être un motif de déferlement de cette violence tous azimuts les jours de combats. L’on a vu des individus agressés, des maisons vandalisées, des véhicules caillaissés à des kilomètres du lieu de combat.
Même si les combats étaient tenus en pleine brousse ou au milieu de la mer, les malfrats opteront toujours pour l’expression des muscles. La Police nationale, qui souffre déjà d’un déficit d’effectif qui fait qu’elle ne puisse assurer la sécurité d’autres disciplines sportives que la lutte les jours de combats, devrait développer, de concert avec toutes les entités de la société, une autre approche sécuritaire. « La sécurité humaine inclut une compréhension de la sécurité centrée sur les populations et avec une approche multidisciplinaire. Elle étend le concept de sécurité à d’autres sphères que la simple sécurité et sûreté « physique » des personnes, qui sont traditionnellement du domaine de la sécurité et de la défense (assurée par la police, l’armée et le personnel de sécurité et de sûreté) pour inclure la sécurité sociale, la sécurité économique, les droits politiques, ou de façon plus générale le développement humain, mais aussi l’environnement ».
Cette conception de la sécurité a été déclinée dans le Rapport sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) de 1994. Elle met en exergue l’importance d’avoir une approche globalisante qui met non seulement les populations au centre, mais aussi à la périphérie de la sécurité. D’où leur « contribution essentielle au processus d’amélioration et de maintien de la sécurité ainsi qu’au sentiment de sécurité collectif » selon la Politique de sécurité urbaine, Québec, Mai 2004. Transposée au monde de la lutte, cette compréhension doit interpeller le ministère des Sports, promoteurs de lutte, écuries, lutteurs, amateurs… Il faut une implication de tout le monde pour atteindre un niveau sécuritaire optimal. Surtout que dans ce sport, le fait de bander les muscles et de montrer une certaine virilité semble bousculer tout raisonnement. La réalité d’une sécurité effective est aussi de faire en sorte que les bandits s’occupent, travaillent, gagnent leur vie.
Ce qui suppose une formation qualifiante qui les prédispose à l’emploi. Encore une fois, nous devrons retenir, comme le souligne le Rapport du Pnud, que « la sécurité du citoyen n’est plus la préoccupation exclusive de la Police, mais une préoccupation commune à gérer en coordination avec les autres composantes de la communauté, y compris les organisations professionnelles, les groupes militants, les organisations de la société civile (Osc), les associations bénévoles et les institutions communales ».
Il s’agira aussi de veiller à la sécurité citoyenne qui ne renvoie pas à une « simple réduction de la criminalité, mais en une stratégie globale et plurisectorielle visant à améliorer la qualité de vie de la population, à entreprendre une action communautaire de prévention de la criminalité, à assurer l’accès à un système de justice efficace et à une éducation fondée sur les valeurs, et à instaurer le respect de la loi et la tolérance.
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