On l’a sans doute remarqué. Les chefs de partis, chez nous, ne sont plus des Secrétaires généraux. Trop insipide comme titre. Trop peu ambitieux. Ils sont tous « Président ».
Président d’une ambition, Président d’un rêve, Président d’un élan personnel qui, à défaut d’être irrésistible, se pare des atours du destin. Il fut un temps où l’on grimpait lentement les échelons de la vie publique, du militant au cadre, du cadre au leader, du leader – parfois – au Chef. Aujourd’hui, plus besoin d’attendre. L’époque est impatiente, pressée comme une orange médiatique : chacun se couronne lui-même. Le mot « président » s’offre, se répète, se propage. Comme une bénédiction sans imam. Comme un trophée exhibé avant même le coup d’envoi. Comme si le simple fait de se proclamer suffisait à mériter l’onction du peuple.
Des élus… sans électeurs. Leur langage est déjà présidentiel, leur costume parfaitement ajusté, leur posture étudiée. L’ambition se porte haut, avec la cravate comme sceptre. On ne dit plus « je propose », mais « je m’engage ». On ne dit plus « si je suis élu », mais « lorsque je serai à la tête de ce pays ». Le conditionnel a disparu. Place à l’inéluctable. Et pourtant… combien de voix ? Combien d’urnes ? Combien de bulletins ? Qu’importe ! Le titre précède la victoire, comme l’ombre précède la lumière. « Président », c’est désormais un genre littéraire. On s’y glisse comme dans une fable. C’est la première ligne du roman qu’on espère écrire. Pas besoin de chapitre, juste une belle couverture : l’égo en majuscule. Car il faut bien le reconnaître, la politique contemporaine est un théâtre où le rôle de « Président » se distribue sans casting.
L’ambition, cette vieille actrice au sourire carnassier, souffle ses répliques à l’oreille du premier venu. Et voilà le candidat qui s’élance, vêtu d’un destin qu’il s’est lui-même cousu. Derrière le rideau, pourtant, la logistique chancelle : pas de parti structuré, pas de programme chiffré, mais une certitude inoxydable. Il est né pour ça. C’est écrit. Où ? Peu importe. Et puis, il y a les apôtres. Les acolytes, les suiveurs, les communicants de fortune. Ceux qui scandent « Président ! » dès que le micro s’ouvre, comme on lance une incantation pour appeler la pluie. Ils ne se posent plus de questions, car poser une question, c’est déjà douter. Et douter, c’est trahir. Dans ce monde parallèle, on répète sans fin les slogans, on partage les affiches, on poste des montages flatteurs. Le fond n’a pas besoin de fondation : l’image suffit.
Mais « Président », ce n’est pas qu’un titre. C’est un mode de vie. Une attitude. Une gestuelle. Le regard vers l’horizon, le verbe lourd de promesses, la démarche lente mais assurée. Il faut savoir entrer dans un salon comme on entre dans l’histoire. Saluer comme un chef d’État. Rester mystérieux sur les intentions, mais flamboyant sur les convictions. Et, bien sûr, ne jamais répondre aux critiques. Un « Président » ne se justifie pas. Il avance, lisse, impassible, entouré de courtisans qui traduisent ses silences en vision. À l’heure du numérique, cette présidentialité d’apparat se nourrit de pixels. L’espace virtuel devient territoire de conquête. On y règne par stories, lives et slogans en lettres capitales. « Président depuis son compte Twitter », « Président avec 200 000 followers », « Président des cœurs », pourquoi pas ? L’imaginaire politique se refait une santé en ligne.
Pendant que la réalité, elle, attend la preuve du terrain. Le drame, c’est que dans cette jungle de « Présidents », il n’y en aura qu’un. Un seul élu. Les autres deviendront « ancien président… d’eux-mêmes », orphelins d’une illusion trop bien entretenue. Mais au fond, peut-être n’est-ce pas si grave. L’essentiel, pour beaucoup, n’est pas de gouverner, mais d’exister. Être vu, être nommé, être flatté. La présidence devient un miroir que chacun tend à son propre reflet. Un miroir poli par l’ambition, mais souvent terni par l’oubli. Car, une fois l’élection passée, combien se souviendront de ces « Présidents » de passage ? Peut-être faudra-t-il un jour redonner au mot sa rareté, à la fonction son exigence et à la politique sa gravité. sidy.diop@lesoleil.sn