Il y a des secousses salutaires. Des réveils institutionnels qui viennent, d’un seul geste, balayer l’inertie, réveiller l’esprit républicain, rappeler que dans une démocratie digne de ce nom, la loi est plus qu’un instrument : elle est un rempart contre les vents politiques. Mercredi dernier, le Conseil constitutionnel a opposé un refus à une partie de la loi d’amnistie votée quelques semaines plus tôt. Une décision à la fois discrète, puissante et technique, qui rappelle que dans le silence des robes noires peut se jouer le destin d’un pays. Car ce que beaucoup ont trop vite pris pour un simple « ajustement juridique » est, en réalité, un sursaut de droit. Un acte d’indépendance. Dans un pays où le débat juridique se mue souvent en théâtre d’opinions, où chaque article de la Constitution devient matière à polémique, cette décision a tranché net.
Pendant que les plateaux de télévision s’emballaient – avec notamment les avis très controversés des experts du jour comme de la nuit –, et que les éditoriaux se transformaient en manuels de droit, le Conseil, lui, restait à sa place : au-dessus du tumulte. Droit dans ses bottes. Imperturbable.
Ce refus partiel de l’amnistie ne nie pas l’élan de réconciliation nationale. Il le redéfinit. Il rappelle une vérité essentielle : on ne reconstruit pas une nation sur le déni. On ne guérit pas une société à coups de gomme. La justice, pour apaiser, doit d’abord reconnaître. Elle ne peut réparer sans nommer les torts. Cette position du Conseil constitutionnel s’inscrit dans une dynamique déjà amorcée il y a quelques mois, lorsque la même institution s’était opposée à une tentative de report de l’élection présidentielle.
Là encore, elle avait rappelé que la légalité ne saurait se plier à la convenance politique. C’est peu dire que cette posture tranche avec le passé.
Pendant trop longtemps, le pouvoir judiciaire a été soupçonné – parfois injustement, parfois non – d’obéir aux injonctions du pouvoir exécutif. Aujourd’hui, une nouvelle ère semble s’ouvrir. Celle d’une justice qui, sans fracas, sans déclarations tonitruantes, se contente de dire le droit. Et de le faire respecter. Ce mouvement s’inscrit aussi dans l’esprit du renouveau institutionnel voulu par le président Bassirou Diomaye Faye, qui envisage de matérialiser son engagement à garantir une cohésion nationale toujours renforcée, fondement indispensable du Sénégal juste, solidaire et prospère auquel nous aspirons.
Dans son dernier discours à la Nation, le 3 avril 2025, il a réaffirmé sa volonté de bâtir un Sénégal juste, solidaire, transparent. Les textes relatifs à la réforme de la justice sont finalisés. Le juge des libertés, la modernisation du Code pénal, la refonte du Conseil supérieur de la magistrature : tout cela dessine une même ambition. Celle d’un État fort par ses institutions, et non par ses arrangements.
Le chantier est immense. Les attentes sont fortes. Mais les signaux sont là. Une institution qui dit non, c’est une démocratie qui se redresse. Un juge qui refuse de plier, c’est un peuple qui peut espérer. Et une décision de droit qui fait barrage à l’oubli, c’est une République qui choisit la mémoire plutôt que l’amnésie. Il reste à transformer l’essai.
À faire de ce moment un tournant durable. À graver dans le marbre ce qui, jusqu’ici, semblait écrit au crayon. La justice sénégalaise, en reprenant la parole à travers ses décisions, rappelle qu’elle est vivante, souveraine, et désormais, incontournable. Et si, finalement, la démocratie, ce n’était pas tant le bruit des campagnes que le calme des juridictions ? Pas tant le tumulte des promesses que la rigueur des institutions ? En ces jours d’espoir prudent, c’est peut-être la leçon la plus précieuse que nous offre le Conseil constitutionnel.
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