On pense souvent que les gens croient aux fausses informations parce qu’ils manquent de connaissances ou de sens critique. En réalité, la désinformation ne gagne pas seulement dans les têtes, mais surtout dans les cœurs. Elle prospère parce qu’elle sait jouer avec nos émotions : la peur, la colère, l’indignation, la compassion… Ces émotions qui nous rendent humains sont aussi celles qui nous rendent vulnérables face au mensonge.
Une infox bien pensée n’a pas besoin d’être parfaitement crédible sur le plan factuel. Il lui suffit d’être crédible émotionnellement. Les artisans de la désinformation l’ont compris depuis longtemps : pour qu’un message soit partagé, il doit d’abord toucher. Il doit provoquer une réaction viscérale, immédiate, avant même que le cerveau n’ait le temps de raisonner. Ainsi, une rumeur sur un danger imminent, une vidéo choquante ou une fausse citation d’une personnalité politique peut circuler à grande vitesse, non pas parce qu’elle est plausible, mais parce qu’elle fait vibrer quelque chose en nous. Les réseaux sociaux amplifient ce mécanisme. Leurs algorithmes privilégient les publications qui génèrent des émotions fortes – colère, surprise, rire ou peur – parce qu’elles maintiennent notre attention.
Peu importe la véracité du contenu, l’important est qu’il suscite de l’engagement : des clics, des likes, des partages. Le résultat, c’est un environnement où le choc attire plus que la vérité, et où la viralité devient le principal critère de visibilité. C’est ainsi que la désinformation trouve un terrain fertile. Une publication outrancière, une image manipulée, une histoire fausse, mais bien racontée peuvent devenir virales en quelques heures. L’émotion se propage à la vitesse d’un tweet, tandis que la vérification des faits avance à pas lents. Et lorsque la correction arrive, elle touche rarement autant de monde que le mensonge initial. Il faut aussi comprendre que les émotions ne sont pas seulement des déclencheurs de désinformation : elles en sont parfois le carburant. Les périodes de crise – qu’elles soient politiques, sanitaires ou sociales – sont particulièrement propices à cette manipulation. Quand la peur s’installe, la rumeur devient refuge.
Quand la colère monte, les discours simplistes trouvent écho. Quand la société se polarise, chacun se replie dans son camp émotionnel, et la vérité devient secondaire. Pourtant, il n’est pas question de rejeter nos émotions. Elles sont essentielles à notre humanité, mais elles doivent être accompagnées de vigilance. Apprendre à repérer le moment où une information nous énerve, nous révolte ou nous émeut profondément, c’est déjà un signal d’alerte. C’est précisément dans ces moments-là qu’il faut s’arrêter, respirer et se demander : “D’où vient cette information ? Qui la diffuse ? Et pourquoi maintenant ?” L’éducation aux médias joue ici un rôle crucial.
Elle nous apprend à reconnaître les mécanismes psychologiques qui rendent la désinformation si efficace. Car au fond, il ne s’agit pas seulement d’apprendre à vérifier les faits, mais aussi d’apprendre à se vérifier soi-même. Suis-je en train de réagir ou de réfléchir ? Suis-je informé ou influencé ? La désinformation n’a pas besoin que nous soyons ignorants, elle a seulement besoin que nous soyons émotifs. Et dans un monde saturé d’images, de notifications et d’indignations, la lucidité devient un acte de résistance. Avant de partager, prenons ce petit moment de recul. Parce qu’à l’ère du numérique, garder la tête froide n’est pas seulement une question de bon sens : c’est un véritable geste citoyen.
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