Deux événements majeurs en Afrique de l’Ouest, ces deux dernières semaines, ont montré la nouvelle réorientation du déploiement turc sur le continent. Le drone malien abattu par l’Algérie qui a suscité une levée de boucliers entre ces deux pays et aussi le Niger et le Burkina est de marque turque.
Rendus célèbres par la crise russo-ukrainienne, les drones militaires turcs jugés efficaces et à bon marché sont devenus des ailes du nouvel envol de la coopération turque en Afrique. L’autre évènement, c’est la commande annoncée par le média réputé et reseauté « Africa Intelligence » des nouvelles autorités sénégalaises auprès du complexe militaro-industriel de matériel d’un montant de 300 millions d’euros (environ 208 milliards de FCfa). Avec ses racines profondes dans le continent remontant au tout puissant Empire ottoman comme il est rappelé tout le temps, la présence turque en Afrique est en train de porter de nouveaux habits. Son retour en terre africaine qui a coïncidé avec la présidence de Recep Tayyip Erdogan s’était d’abord porté sur le domaine des infrastructures où la Turquie qui y jouit d’un savoir-faire certain, a permis à beaucoup de pays africains de s’en doter.
C’est le cas de plusieurs pays comme le Sénégal où les chantiers turcs se sont multipliés cette dernière décennie. Après ainsi les infrastructures et le bâtiment, les ailes marchandes turques ciblent l’armement. Avec succès. De manière intelligente, la coopération turque, d’abord portée par des outils de soft power efficace comme l’éducation et la culture, a été aussi accompagnée par un déploiement militaire dans beaucoup de théâtres d’opérations militaires, de la Libye à la Somalie, où elle dispose d’une base militaire permanente, la seule en Afrique. De même que l’attrait des équipements militaires turcs comme les drones qui sont utilisés en Afrique dans la lutte contre le terrorisme. « L’industrie de défense de la Turquie est en forte croissance. Avec l’éclosion de ses entreprises turques comme Baykar, conjuguée aux menaces sécuritaires qui pèsent sur plusieurs pays africains notamment au Sahel, la Turquie a un peu changé de stratégie on peut dire. Elle est passée d’une stratégie basée sur le soft power pour glisser vers du smart power avec l’inclusion de l’aspect militaire dans la coopération turco-africaine de façon légitime », avait analysé Dr Alioune Abdoutalib Lô dans une interview publiée dans l’édition du « Soleil » datée du 28 janvier 2025.
Si dans le domaine du bâtiment et de l’armement, des entreprises turques comme Summa, Limak, Baykar se sont fait un nom en Afrique, d’autres aussi comme Raff Military Textile commencent à se frayer un chemin. Cette dernière, vieille de plus de 80 ans, a ainsi fait de l’Afrique une nouvelle piste de décollage à grande échelle du complexe militaro-industriel turc, comme ses homologues Summa, Limak, Baykar beaucoup plus connus. L’autre étape pour l’Afrique est de ne pas seulement se contenter d’une position d’acheteur et de client. Avec la volonté de beaucoup de pays africains de se doter d’une réelle industrie de défense, il faudra ainsi exiger de la partie turque dont l’Afrique est devenue la nouvelle porte de débouché et de marché, une vraie politique de transfert de technologies, de partage d’expérience et de connaissance. C’est seulement avec cela que les concepts habituels et usuels de « vision gagnant-gagnant », « respect mutuel » auront du contenant et des contenus. Avec la nouvelle dimension prise par la crise sécuritaire en Afrique de l’Ouest et au Sahel, il est indispensable de développer une certaine autonomie stratégique dans le domaine militaire, même s’il n’est pas la seule réponse à proposer. Les racines profondes et ailes marchandes de la Turquie en Afrique pourraient ainsi y aider… oumar.ndiaye@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)