Ce sera l’un des faits marquants de la semaine prochaine : la présentation par le Premier ministre, Ousmane Sonko, du Plan de redressement économique du gouvernement.
Ce sera l’occasion de réaffirmer la vision, de partager avec le grand public et les partenaires les principales mesures retenues, et de fixer un nouveau cap, en phase avec l’ambition de l’agenda national « Sénégal 2050 ». Mais il faut le dire : un débat animé fait déjà rage dans les médias. L’annonce du chef du gouvernement a suscité de vives réactions, accompagnées de nombreuses polémiques politiques. Journalistes, chroniqueurs, experts et acteurs politiques s’en donnent à cœur joie. Comme c’est souvent le cas, les citoyens assistent, impuissants, à des monologues. Pas de débats contradictoires. Les invités dictent leur loi. Jouent le rôle du journaliste-présentateur. Orientent le débat.
Comme s’ils étaient là juste pour partager des opinions. Et quand l’expert se dilue dans le politique, le résultat est connu : palabres, commentaires, et une avalanche de termes et concepts parmi les plus effrayants : régime d’austérité, récession, coupes budgétaires, arrêt des subventions… Une intervention télévisée a particulièrement retenu l’attention, suscitant des centaines de commentaires : celle d’un ancien député libéral qui estime que le Sénégal ne peut plus poursuivre la politique actuelle, et propose tout simplement de supprimer des postes dans la fonction publique. En clair, il désigne une fonction publique « pléthorique, peu utile et budgétivore » comme la principale source des problèmes économiques du pays. Des experts, dans les journaux comme sur les plateaux télé et radio, ont repris ce même raisonnement, soutenant que la situation actuelle est aggravée par l’augmentation incontrôlée des dépenses publiques. Il est vrai que la masse salariale a connu une forte hausse : elle est passée de 98,7 milliards FCfa en décembre 2023 à 129,2 milliards FCfa en décembre 2024, soit une hausse de 31 %.
Le nombre d’agents de l’administration a également augmenté de 3,7 % en un an, atteignant 183 086 fonctionnaires. Mais la situation est-elle aussi alarmante pour arriver à supprimer des postes ? Non. Et il est fort probable que le gouvernement ne s’aligne pas sur ce raisonnement simpliste. En tout cas, nous encourageons le Premier ministre à ne pas suivre cette voie. Ce serait une erreur monumentale de le faire. Car une telle orientation pourrait entraîner des conséquences désastreuses. Il urge même de déconstruire une idée reçue : beaucoup pensent que seule la richesse créée par les entreprises et les ménages (le secteur productif) sert à payer des fonctionnaires (jugés improductifs).
Ils réduisent ces serviteurs publics à un corps de privilégiés, jugés peu utiles, qui engloutiraient l’essentiel des ressources nationales, au détriment de la majorité. C’est une idée reçue, largement inexacte. Dans tous les pays, les fonctionnaires contribuent à la croissance du Pib. Mieux encore, ceux qui affirment que la dépense publique est excessive oublient que ces fonds servent non seulement à rémunérer les fonctionnaires et à assurer les services publics, mais qu’ils sont aussi immédiatement reversés – par les fonctionnaires eux-mêmes – aux ménages, aux entreprises, aux retraités, via la consommation, les investissements et les aides. Au Sénégal, la masse salariale publique représente environ 9 à 11 % du Pib selon les années, et alimente directement l’économie intérieure. Et que font tous les salariés de leurs salaires ? Ils consomment, investissent et soutiennent ainsi l’activité du secteur privé.
Nous sommes donc face à un système interdépendant, une machine économique qui repose sur l’action conjointe des salariés (fonctionnaires, secteur privé), des ménages et des entreprises. Le risque, avec la suppression de postes, est de gripper cette machine économique en contractant la consommation, ce qui impacterait négativement le Pib. Plutôt que de supprimer des postes, le Premier ministre devrait annoncer la création de milliers d’emplois, notamment dans deux secteurs clés : l’agriculture et l’élevage, qui souffrent terriblement d’un manque d’effectifs. L’enjeu est énorme. L’agriculture fait vivre environ 77 % des Sénégalais, mais sa contribution au Pib reste faible, autour de 17 %, faute de modernisation et de ressources humaines suffisantes. L’élevage, quant à lui, mobilise près de 40 % de la population rurale, mais ne représente que 4 % du Pib. Ces deux secteurs sont pourtant les plus prometteurs en termes d’emplois durables. Et peuvent jouer un rôle déterminant dans la souveraineté alimentaire et économique du pays.
abdoulaye.diallo@lesoleil.sn