Le téléphone est l’outil phare de l’Afrique ultra-connectée, un miroir déformant de nos aspirations. L’intelligence artificielle générative a propulsé le vieux fantasme du photomontage dans la nouvelle ère de l’illusion choisie.
Le phénomène est omniprésent : des utilisateurs soumettent leur photo sur les réseaux avec une supplique : « Qui peut me faire apparaître devant la Tour Eiffel ? », « J’aimerais être dans un restaurant luxueux de Dubaï » ou encore « Mettez-moi au stade Bernabeu du Real Madrid ! ». C’est la version numérique du voyage, une « téranga virtuelle » qui s’offre à tous pour valider une identité sociale idéalisée ou exaucer un rêve éphémère. L’IA, qu’il s’agisse de puissants outils comme Gemini ou d’applications locales moins connues, a fait un bond qualitatif. Elle ne se contente plus de coller une image : elle analyse la lumière du Saloum, les plis de votre boubou et l’expression de votre visage pour les intégrer de manière ultra-réaliste dans le décor lointain. Elle vend l’image du succès, de la gloire, sans que nous ayons à quitter notre maison.
Cette facilité technique nourrit une pression du paraître, où la réalité du compte en banque importe moins que l’image du chic projetée sur le réseau — un mélange de fierté culturelle et de standards de luxe mondialisés. Mais cette magie a un coût, et ce coût est l’abandon du contrôle de nos données. En soumettant une photo – qui contient toutes nos données biométriques (forme du visage, expressions) – à un groupe anonyme ou à une plateforme peu scrupuleuse, on effectue un véritable dépôt de données. La photo devient un terrain de jeu en or pour les acteurs malveillants, qui peuvent l’utiliser pour entraîner des modèles d’IA sans consentement ou, pire, pour la création de deepfakes. Votre visage, désormais modélisé en haute définition, devient la matière première pour des photos manipulées destinées à l’usurpation d’identité, à la fraude ou à la calomnie – un risque particulièrement dévastateur dans le contexte sénégalais.
Le paradoxe de l’illusion choisie est criant : nous cherchons un contrôle absolu sur la façade de notre vie, mais nous perdons tout contrôle sur la fondation de notre identité numérique. Contrairement aux grandes plateformes utilisées en Europe, encadrées par le Rgpd et le nouvel AI Act qui imposent une transparence sur l’étiquetage des contenus générés par IA, l’utilisateur africain est souvent démuni face à l’exploitation de ses données. L’IA est une bénédiction qui nous offre une liberté créative sans précédent, mais le prix de cette illusion ne doit pas être la vente de notre identité. La seule défense réelle est la conscience numérique. Le conseil est clair : soyez un maître de l’illusion, pas une victime de l’exposition. Pour allier rêve et sécurité, la dignité numérique doit être notre guide. Il est impératif d’utiliser des outils dont la politique de confidentialité est claire, et de se méfier de la gratuité totale. Si le service est gratuit, c’est que vous et vos données êtes le véritable produit. L’IA nous offre le rêve ; à nous d’en profiter avec honneur et responsabilité. La vraie téranga commence par la protection de soi.
cheikh.tidiane.ndiaye@lesoleil.sn

