Même les barrières de terre-plein en béton armé, censées éviter toute collision, ne nous protègent plus. On s’arrange même, dans nos folles allures, à les enjamber pour aller faucher des vies roulant en sens inverse.
C’est ainsi qu’ont péri cinq habitants de Diamaguène, vendredi dernier, sur l’autoroute Ila Touba, alors qu’ils partaient inhumer l’un des leurs décédé la veille. Un conducteur précautionneux, respectant toutes les règles de bonne conduite, n’est plus sûr de sortir indemne de la circulation avec tous ces chauffards qui n’en font qu’à leur tête. Finalement, à quelles routes se fier? Comment, en fin de compte, arrêter ce jeu de massacre ? Cette hécatombe qui semble obéir à une funeste loi des séries ? On accusait les mauvaises routes et les chaussées étroites.
En quinze jours, les morts dénombrés l’ont été sur un tapis de bitume bien fait et en 2×2 voies. À part une vitesse excessive, on ne voit pas comment un véhicule peut-il escalader une barrière telle une feuille morte. L’erreur est humaine certes, mais il y en a certaines qui frisent le je-m’en-foutisme. Et le drame, c’est qu’on ne s’en émeut plus, ces accidents de la route. En un mois, à différents endroits du pays, une trentaine de personnes ont péri sans que ça ne heurte nos consciences. À croire que c’est devenu une banalité. Une fatalité que tout le monde semble avoir intégrée dans son subconscient.
Dix décès par-ci, sept par-là, cinq vendredi passé. Peut-être que si cela nous laisse de marbre, c’est parce que, devant le bilan de l’accident de Sikilo et de Sakal en 2023, celui de janvier-février 2025 est quantité négligeable. Inconsciemment, on minimise pour avoir connu bien pire. Le prochain accident qui nous retournera les boyaux, devra certainement battre le record de ces deux accidents tragiques. Dieu nous en préserve ! Comme Le Soleil en a parlé dernièrement, derrière chaque accident de la route, se dessinent des drames humains et sociaux. Selon l’Organisation mondiale de la santé (Oms), le phénomène constitue la 8e cause de mortalité dans le monde devant la malaria et le Sida et la première cause de mortalité pour les jeunes de 5 à 29 ans.
Au Sénégal, d’après le ministère des Transports, on note une moyenne annuelle de plus de 4.000 accidents de la circulation, dont 745 décès en 2019, soit près de 2 décès par jour. Malgré la multiplication des initiatives de l’État et des organisations de la société civile en termes de sensibilisation, on a le sentiment que les routes vont encore continuer à tuer au même rythme, les conducteurs n’en ayant cure. En effet, les routes sénégalaises sont devenues une horrible scène d’expression achevée de notre indiscipline collective. On y voit du tout. Si ce ne sont pas des bus pleins à craquer et chargés à ras bord qui jouent au rallye raid, c’est des mécaniques rutilantes qui se croient en Formule 1.
Pour l’heure, les réformes et actions entreprises par l’État avec la mise en place, notamment, en 2021, de l’Agence nationale de la sécurité routière (Anaser) dont l’objectif est de réduire de 50 % le nombre de décès et de blessures graves dus aux accidents de la route d’ici à 2030 n’ont pas donné grand-chose. Face à l’indiscipline des chauffeurs, particulièrement des transporteurs, réfractaires à toute réforme, l’Anaser a du pain sur la planche.
L’heure ne doit plus être aux atermoiements et à la reculade. Il y a déjà assez de morts sur nos routes pour que le laxisme dans l’application de sanctions et dans la délivrance des titres de transports continue de perdurer. La vie de tous les Sénégalais en dépend. Il n’est pas dit que le fléau sera jugulé, mais il est bien possible de le réduire drastiquement et donc de sauvegarder des vies. Les accidents de la circulation ne sont pas une fatalité, les considérer comme tel serait la meilleure manière de transformer nos routes en tombeau.
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