Il faut parfois le dire franchement : le football africain avance, mais il avance à cloche-pied. À l’heure où les autres continents s’appuient sur la Var pour corriger les erreurs d’arbitrage, l’Afrique, elle, continue de jouer à l’aveugle. Les éliminatoires du Mondial 2026 en sont la parfaite illustration.
Depuis des mois, la Confédération africaine de football (Caf) choisit de se passer de cette technologie pourtant généralisée ailleurs. En Europe, en Asie ou en Amérique du Sud, chaque but, chaque pénalty, chaque contact litigieux est vérifié en quelques secondes. En Afrique, c’est encore la loi du drapeau levé trop vite, du sifflet hésitant et de la polémique sans fin. Les arguments avancés par la Caf pour justifier l’absence de la Var se résument à des stades non homologués ainsi que des contraintes techniques, logistiques et surtout financières. Tout cela est peut-être vrai, mais le résultat demeure le même : les sélections africaines ne jouent pas à armes égales. L’absence de la Var n’est pas un simple détail, elle pèse sur le destin de certains matchs.
Le Cap-Vert, avec ses 4000 kilomètres carrés, et 550.000 habitants, en bonne position pour décrocher une première qualification historique, s’est vu refuser un but à la 95 ᵉ minute face à la Libye, pour un hors-jeu imaginaire. Une « erreur manifeste » non corrigée en l’absence de la Var, qui oblige désormais les « Requins Bleus » à s’imposer impérativement à domicile face à Eswatini lors de la dernière journée pour espérer décrocher leur billet pour la Coupe du monde. Le Sénégal, lui aussi, avait été victime d’une décision contestable contre la Rd Congo sur un but refusé pour hors-jeu alors que la balle était déviée par un joueur de la Rd Congo dans ses filets. Que dire de la rencontre entre le Gabon et la Côte d’Ivoire, disputée lors de la 7 ᵉ journée en septembre, entachée de plusieurs penaltys non sifflés en faveur des Ivoiriens.
Pourtant, la question n’est pas seulement financière. Le Maroc a introduit la Var dès 2020 dans son championnat (Botola) pour environ 50.000 dirhams par match, soit un peu plus de 3 millions FCfa. Une somme loin d’être insurmontable, surtout depuis l’apparition de la « Var light », une version plus souple et moins coûteuse utilisée depuis 2022. Les moyens existent donc, à condition que la volonté suive. Sans la vidéo, le football africain s’en remet souvent au hasard et à l’appréciation humaine. Et dans un contexte où la pression populaire, les rivalités politiques et les soupçons de corruption persistent, ce choix relève presque de l’inconscience. Une erreur d’arbitrage, ici, n’est jamais anodine. Chaque décision peut déclencher une tempête médiatique ou populaire, tant chaque match porte une charge symbolique.
Pourtant, l’instance africaine avait déjà franchi une étape importante en réussissant son expérimentation dès les quarts de finale lors de la Can 2019 en Égypte. Depuis, cette technologie est régulièrement utilisée dans les compétitions continentales majeures, notamment en Ligue des champions de la Caf et en Coupe de la Confédération. Dès lors, une question s’impose. Pourquoi la Caf n’a-t-elle pas fait preuve de la même rigueur et de la même détermination pour imposer la Var lors des éliminatoires du Mondial 2026, malgré les injonctions claires de la Fifa ?
L’instance mondiale du football avait, en effet, recommandé son utilisation dans toutes les zones continentales, afin d’uniformiser les conditions de jeu et de renforcer la crédibilité des compétitions. Incapable de satisfaire cette exigence, la Caf a finalement obtenu au forceps une dérogation du patron de la Fifa Gianni Infantino. À l’évidence, la Var ne corrige pas tout, certes, mais elle réduit la marge d’erreur et protège la vérité du terrain, celle qui fonde la légitimité d’une victoire et la justice d’un résultat. Tant qu’elle restera un privilège réservé à quelques pays du continent, le football africain continuera de jouer à pile ou face. Et à ce jeu-là, ce ne sont pas toujours les meilleurs qui gagnent.
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