Les GAFAM – acronyme désignant Google, Apple, Facebook (aujourd’hui Meta), Amazon et Microsoft – incarnent la puissance absolue du numérique.
Ces cinq géants américains règnent sur l’économie mondiale de la donnée, des réseaux et du commerce en ligne. Ils façonnent nos usages quotidiens, orientent nos choix de consommation, et, souvent sans que nous en ayons conscience, dictent les règles d’un monde connecté. Leur influence dépasse les frontières, mais leur contribution fiscale reste, elle, bien en deçà de leur puissance réelle. Dans un contexte où les États cherchent de nouvelles sources de financement, la question revient avec insistance : pourquoi ces multinationales, dont la valeur boursière dépasse parfois les 1.000 milliards de dollars chacune, ne sont-elles pas davantage taxées ? La réponse tient à une faille du système fiscal international.
Ces entreprises opèrent majoritairement en ligne, sans présence physique significative dans les pays où elles génèrent pourtant d’énormes revenus. Or, les règles fiscales classiques reposent sur la notion d’« établissement stable » : pour qu’un État puisse imposer une société, il faut que celle-ci y ait un siège, une usine ou un bureau. Dans le cas des GAFAM, cette condition est rarement remplie. Résultat : elles engrangent des bénéfices considérables dans des pays où elles ne paient presque rien. Face à cette situation, chaque État tente d’apporter sa propre solution. Certains, notamment les paradis fiscaux, proposent des taux d’imposition très faibles pour attirer ces entreprises, tandis que d’autres cherchent à récupérer une part du gâteau numérique. Mais faute d’accord global, la bataille se joue en ordre dispersé.
Depuis le 1er janvier 2024, les pays du G7 et du G20, avec le soutien de l’OCDE, ont mis en œuvre un impôt minimum mondial de 15 % sur les sociétés multinationales. L’objectif est de limiter l’évasion fiscale et de réduire la concurrence déloyale entre États. Cependant, cette réforme reste encore timide dans son application, notamment en Afrique, où l’absence d’un cadre commun affaiblit la portée de la mesure. Pour Abossé Akue-Kpakpo, ancien directeur de l’économie numérique à la Commission de l’UEMOA, la seule solution viable pour le continent réside dans une action concertée : « Si les pays africains ne se mettent pas d’accord pour agir ensemble, les GAFAM continueront d’imposer leurs propres règles. »
Le Sénégal, de son côté, a commencé à tracer sa voie. Depuis le 1er juillet 2024, une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’applique désormais aux services numériques étrangers, comme les plateformes de streaming, les fournisseurs de logiciels ou les sites de commerce en ligne. Le pays devient ainsi le 22e État africain à introduire une telle mesure. Mais cette avancée ne gomme pas les disparités. Au Kenya, la TVA numérique est fixée à 16 %. Ainsi, lorsqu’un utilisateur s’abonne à Netflix, la plateforme prélève automatiquement la taxe et la reverse à l’État.
Au Sénégal, le taux est plus élevé – 18 % –, mais les procédures administratives demeurent lourdes pour les entreprises locales. Le Nigeria, lui, a opté pour une approche différente : il taxe non pas chaque transaction, mais les bénéfices effectivement générés sur son territoire. Entre ces stratégies diverses, un constat s’impose : la fiscalité du numérique reste un champ de bataille. Tant que les États n’adopteront pas une position commune, les GAFAM continueront d’échapper, en grande partie, à la taxation équitable de leurs activités. Au-delà des chiffres, l’enjeu est aussi politique et moral. Il s’agit de rétablir un équilibre entre la puissance privée des géants du Web et la souveraineté des nations. Dans un monde où la donnée vaut plus que le pétrole, la justice fiscale devient une question de dignité collective.
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