Ils ne sont pas géomètres, mais ils ont acquis les réflexes des calculs et du découpage. Étalez devant eux une mappemonde, ils vous liront les plans, les interpréteront et vous dénicheront les plus minuscules lopins de terre. La force de l’habitude foncièrement boulimique.
Ils ne sont pas nés propriétaires terriens par la grâce d’un héritage familial, mais ils ont développé une appétence pour le foncier, si vive qu’ils dégagent le souffle du carnassier devant une proie facile. Ils ont le nez creux et peuvent renifler, à mille lieues, comme un pétrichor qui monte aux narines après la pluie, la bonne affaire. Ils sont l’Alpha et l’Omega du commerce du foncier au Sénégal. Eux, ce sont les dirigeants des collectivités territoriales. L’interview accordée au Soleil par le Dg de la Dscos dans l’édition de ce week-end est assez édifiante sur le système bien huilé mis en place et qui ne souffre guère d’un grain de sable. Le haut gradé ne le dit pas certes, mais ses propos, pour ceux qui savent lire entre les lignes, en disent beaucoup sur la mafia du foncier et comment elle est entretenue.
Dans la plupart des contentieux fonciers, les maires sont au début et à la fin de l’embrouillamini. Par exemple, dans la zone de Sangalkam-Tivaouane Peul- Bambilor, qu’on va appeler le triangle litigieux, la gestion de la terre par les responsables municipaux est le principal facteur à l’origine des conflits autour de la propriété foncière. Comme dans le triangle des Bermudes, beaucoup de projets de vie d’honnêtes citoyens aspirant à un toit viennent s’y crasher par la faute de gens mus par l’appât du gain avec des complicités aux ramifications insoupçonnées. Il faut dire que le business de la terre est une source d’enrichissement liquide. Y fleurissent, sans se donner du mal, les fruits de la cupidité qu’on sème par la seule grâce d’une signature délibérative.
Et tout part de l’interprétation opportuniste de la règle de l’aménagement public des 30 % qui dit que cette surface doit être réservée à la voirie et aux espaces publics. Au lieu de cela, ils accaparent 30 % des parcelles sur 100 parcelles par exemple. Faites le calcul et vous comprendrez la précipitation avec laquelle les signatures et les délibérations au profit de prédateurs fonciers en col blanc sont apposées au bas de bouts de papier. Doit-on s’étonner alors de voir des maires hyper riches comme Crésus qui roulent carrosse et pas n’importe lesquelles ? D’ailleurs, dans ce pays, les édiles les plus nantis sont ceux qui ont encore des réserves foncières dans les communes qu’ils administrent comme à l’époque où elles étaient des communes rurales. Ils s’engouffrent dans les failles de cette réforme inaboutie dans un contexte d’étalement des villes vers ses anciennes zones rurales et d’explosion de la demande en logements pour s’en mettre plein les cabas. Mais ils ne le font pas tout seuls.
À côté, il y a une race de fonctionnaires qui s’accommodent peu de scrupule lorsqu’il s’agit de valider des forfaitures. Parce qu’il faut le dire, le foncier est devenu, aujourd’hui, un outil de corruption. Quand il n’est pas vendu, il est toujours distribué aux mêmes catégories socioprofessionnelles, un entre soi bien établi. Si bien que lorsque le député Amadou BA a émis l’idée d’enlever aux maires de manière temporaire la gestion des terres, certains parmi eux sont montés sur leurs grands chevaux. Effet d’annonce ou volonté réelle d’y aller, toujours est-il que la proposition du parlementaire mérite qu’on s’y penche. Comme le dit le patron de la Dscos, il faut remettre les choses à l’endroit. Cela sous-entend que trop de terrain a été laissé à certains individus pour faire ce qu’ils veulent avec les terres du domaine national qui, faut-il le rappeler, ne doivent pas faire l’objet de commerce. Remettre donc à l’endroit ce qui a été mis à l’envers soit par complicité, soit par laxisme.
Dans l’un comme dans l’autre, ceux qui devaient veiller au juste équilibre des choses ont manqué à leurs devoirs. Ces cris d’orfraie des maires ne doivent pas étouffer ceux de détresse des populations qui, ces derniers temps, se font entendre à travers la presse. En effet, il ne se passe plus un jour sans que, à Dakar et dans les régions, des victimes de spoliation foncière ne se signalent pour dénoncer des velléités d’accaparement de leur terre, soit par des promoteurs immobiliers, soit par des maires de connivence avec ces derniers. Au même titre que le Domaine public maritime et des lotissements irréguliers dans certains sites célèbres, les complaintes de ces Sénégalais méritent également d’être entendues. elhadjibrahima.thiam@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)