Il y a quelques semaines, des Ivoiriens et Sénégalais, deux peuples frères, se livraient, sur le réseau social TikTok, à un jeu dangereux : celui de la division, de l’animosité. Il est l’œuvre d’« influenceurs » tiktokeurs, ces « Ruwaybidah » des temps modernes. Les « Ruwaybidah », disait le Prophète Mohamed (Psl), selon Abu Hurayrah, ce sont « les faibles d’esprit qui parlent de ce qui regarde la masse ». Tout est parti de la sortie d’une TikTokeuse et influenceuse ivoirienne qui, soutenant jouer, taxe les Sénégalais d’« Adjovan, d’illettrés ».
Réplique de Sénégalais. Et ça vole bas, avec des propos abjects qui tendent à semer la discorde entre nos deux peuples. Le plus avilissant, c’est l’implication de TikTokeurs d’autres pays qui ont décidé de nager dans ces eaux vaseuses, cherchant ainsi à amplifier l’inimitié entre Ivoiriens et Sénégalais. Malheureusement pour eux. Car, ce que ces derniers ignorent, les relations fraternelles entre ces deux peuples datent d’avant les indépendances. Ce qui explique la présence d’une forte colonie sénégalaise en Côte d’Ivoire. Il n’y a certes pas de données précises et récentes sur le nombre exact de Sénégalais en Côte d’Ivoire. Toutefois, on estime qu’il y en aurait entre 70.000 et 350.000 travailleurs sénégalais en Côte d’Ivoire.
Une autre source indique que le Sénégal représente 0,6 % des résidents étrangers en Côte d’Ivoire. (Cf. Internet). De l’autre côté, on note une importante communauté ivoirienne au Sénégal. Selon les statistiques de 2014 du ministère de l’Intégration africaine de la Côte d’Ivoire, sur les 1.240.000 Ivoiriens vivant à l’étranger, 3 % résident au Sénégal (Cf ; Abidjan.net). Ces relations ont abouti à des liens de sang, particulièrement entre la famille du premier Président ivoirien (les Boigny) et celle des Thiam (Amadou Thiam, père de Tidjane Thiam du Pdci). Après l’indépendance, outre ces liens fraternels, la coopération entre les deux pays s’est beaucoup renforcée et concerne presque tous les domaines. Aujourd’hui, ces deux pays constituent les moteurs de l’espace Uemoa.
Et ce n’est pas un hasard si au moment où ces TikTokeurs continuent leur amusement (si tant il en est un) vil, le chef de l’État ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, invitait le Président sénégalais, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, à l’Africa Ceo Forum tenu ce mois de mai à Abidjan, en compagnie d’autres présidents de la République. Ce qui devrait les faire taire. En réalité, cette affaire pose une véritable question, celle du rôle et de la gestion des réseaux sociaux, notamment de TikTok, dans nos pays. Aucun filtre. Tout passe comme lettre à la poste. Du bon comme du mauvais.
La vulgarité (insultes, scènes obscènes, propos salaces…) y a atteint le summum. Le tout facilement accessible. Surtout à nos enfants. Qu’est-ce que ces derniers vont retenir de cette passe d’armes nauséabonde entre TikTokeurs ivoiriens et sénégalais ? Certainement penser que ces deux peuples se détestent. Or, il n’en est rien ! Il est vrai que le vice des réseaux sociaux est d’avoir donné la parole à toutes sortes de personnes, même les non réfléchies, comme le soutient le philosophe italien Umberto Eco.
« Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles », disait-il. Triste temps qui nous interpelle tous. Un devoir de vigie s’impose à l’État.
Par Daouda MANÉ
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