Trait d’union entre l’Europe et l’Asie, la Turquie est un carrefour de civilisations, une sorte de frontière entre l’Occident et l’Orient. C’est un pays où se joua en partie l’histoire de la Grèce et, plus tard, celle de l’Occident puis de l’Islam.
Ni européen, ni asiatique, c’est un pays écartelé. Cette position géographique entre deux cultures (européenne et asiatique) confère à la Turquie un certain nombre d’atouts, mais présente aussi quelques inconvénients comme l’illustre ses difficultés sur le chemin de l’intégration européenne. Le pays n’échappe pas non plus aux tensions géopolitiques qui secouent le monde. Mais globalement, Ankara a su tirer son épingle. Membre du G20, le pays est aujourd’hui la 17e économie mondiale et la 12e selon la parité de pouvoir d’achat en 2024. Mais avant d’en arriver là, la Turquie a traversé des périodes difficiles.
Dans son discours lors du 5e Forum d’affaires et économique Turquie-Afrique, le 17 octobre 2025 à Istanbul, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a cité un poème de Nazım Hikmet intitulé « Aux écrivains d’Asie et d’Afrique », affirmant qu’il reflétait un esprit de solidarité universelle, écrit à une époque où le pays traversait de graves crises économiques, politiques et sociales. « Heureusement, les jours douloureux d’il y a 63 ans sont désormais derrière nous. En 23 ans, la Turquie a énormément changé et progressé », a-t-il ajouté. Désormais la Turquie regarde vers l’Afrique. Depuis le début des années 2000 et l’arrivée d’Erdoğan au pouvoir, le pays déploie une stratégie d’influence vers le continent africain. Cette coopération puise ses racines dans l’histoire. Ankara entretenait avec l’Afrique « des liens d’amitié et de fraternité profonds », remontant au Xe siècle. « De Tombouctou à La Mecque, du Caire au Cap, on trouve les traces indélébiles de cette amitié et de cette fraternité », a déclaré M. Erdoğan, qui a effectué plus de 50 visites sur le continent.
Alors que les partenaires traditionnels de l’Afrique sont en perte de vitesse, la Turquie se positionne en « partenaire de bonne foi » et en faiseuse de paix, là où les anciennes puissances coloniales européennes préfèrent détourner les yeux de certains conflits qui ravagent l’Afrique (Soudan), si elles n’alimentent tout simplement pas le feu. « Grâce à notre bonne foi et à notre dossier sans tache, nos relations avec l’Afrique se sont renforcées de jour en jour », s’est félicité M. Erdoğan. Cependant, tout n’est pas parfait – la Turquie est aussi confrontée à ses propres soubresauts politiques, sans compter une crise économique qui a fortement affaibli sa monnaie, la livre turque – mais ce long développement vise à rappeler qu’avec une stratégie claire le pays a su surmonter ce qui pourrait être perçu comme un handicap : son positionnement géographique et géopolitique.
Alors quelle leçon pour le Sénégal ? Évidemment, on ne peut pas comparer les deux pays. Ils n’ont pas le même potentiel, ni la même trajectoire, encore moins la même histoire. L’une est héritière d’un empire (ottoman) et est un géant démographique (plus de 85 millions d’habitants) ; l’autre est un petit pays (18 millions d’habitants) ayant subi deux siècles de colonisation et de néocolonialisme. Mais on peut tirer quelques enseignements de l’expérience turque sur le chemin du développement. Il faut une stratégie claire sur le long terme. Il faut aussi savoir tirer profit des atouts qu’offre la géographie.
Si la Turquie est un trait d’union entre l’Europe et l’Asie, l’Orient et l’Occident, le Sénégal est la porte d’entrée de l’Afrique. Cette position géographique stratégique, dont on se vante souvent, à juste titre d’ailleurs, offre à notre pays des atouts pas suffisamment exploités. Assumer sa position de porte d’entrée de l’Afrique signifie s’ouvrir à tous les investissements, « sans exclusion ni exclusive ». Ce positionnement doit enfin se refléter dans la stratégie de développement à long terme, mais aussi dans l’attractivité du climat d’affaires. Alors, peut-être que d’ici 20 ans, l’on pourrait voir les fruits.
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