Le 1er décembre 1944 est une date à fixer dans notre mémoire collective. Ce jour-là, des tirailleurs sénégalais, des soldats africains ayant combattu aux côtés de la France, durant la Seconde Guerre mondiale, furent froidement abattus par l’armée française. Cet événement, qui fait partie des pages sombres de l’histoire coloniale, demeure largement ignoré ou minimisé dans la mémoire collective. Pourtant, il porte en lui une symbolique puissante, celle de la trahison, de l’injustice et du déni de la dignité humaine.
Les tirailleurs sénégalais, au nombre de plusieurs dizaines de milliers, avaient été mobilisés pour soutenir les forces françaises sur le front européen. Après la guerre, beaucoup d’entre eux, qui s’étaient battus pour une liberté qu’ils n’avaient pas vécue chez eux, furent envoyés à Thiaroye, un camp de transit en attendant d’être démobilisés. Mais leurs espoirs d’un retour digne se heurtèrent à la réalité cruelle de promesses non tenues. Les soldats réclamaient le paiement de leurs arriérés, des indemnités et des droits que la France leur avait assurés et qui ne leur étaient toujours pas versés. Un simple geste de revendication, mais pour l’armée coloniale, un
acte de rébellion.
Ce 1er décembre, après plusieurs jours de tension, les militaires français ouvrirent le feu sur des hommes désarmés, sans ménagement ni scrupule. Le bilan officiel fait état de 35 morts, mais ils sont plusieurs centaines à perdre la vie dans cette tragédie. Si le chiffre exact reste flou, c’est que les autorités françaises ont longtemps minimisé l’ampleur de la tragédie. Ces hommes qui avaient risqué leur vie pour un pays qui les traitait comme des citoyens de seconde zone furent massacrés, et leurs familles laissées dans la douleur et le silence. Le massacre de Thiaroye, au-delà de l’horreur, incarne aussi la profonde hypocrisie d’un système colonial qui valorisait les hommes pour leur capacité à se battre pour une nation, mais qui leur refusait toute reconnaissance, tout droit à l’égalité et à la justice.
Les tirailleurs sénégalais, qui furent les premiers à se dresser contre l’oppression coloniale, ont vu leurs voix étouffées dans le sang. Aujourd’hui, 80 ans après cette tragédie, il est urgent de renouer avec cette mémoire, non seulement pour rendre hommage aux victimes, mais aussi pour exiger une reconnaissance officielle de cet atroce massacre. L’histoire de Thiaroye est celle de l’injustice d’un système qui n’a cessé de déshumaniser les peuples colonisés. Il est de notre devoir de ne pas laisser cette mémoire sombrer dans l’oubli, de donner une voix à ces victimes silencieuses et de poser les bases d’une réparation fondée sur la vérité, la justice. La tragédie de Thiaroye doit rappeler que la guerre n’épargne jamais les plus vulnérables et que les cicatrices du passé continuent de marquer les luttes pour la dignité et l’égalité.
Par Sidy DIOP