Derrière ce mot arabe à la sonorité douce, Waqf, se cache un concept ancien, profond, et d’une étonnante modernité. Le Waqf désigne un bien donné, légué ou acquis pour être détenu en fiducie perpétuelle, au profit de causes caritatives, religieuses ou d’utilité publique.
Il ne s’agit pas d’une simple aumône ponctuelle, mais d’un mécanisme structurant, pensé pour inscrire la solidarité dans la durée. Introduit officiellement au Sénégal par la loi n°2015-11, promulguée le 6 mai 2015, le Waqf s’inscrit pourtant dans une tradition bien plus ancienne. Importé avec l’Islam, il fut pratiqué dès les premiers royaumes islamisés du pays, comme le Fouta Toro, le Djolof ou encore le Kayor. Des formes traditionnelles du Waqf ont ainsi contribué à la construction de mosquées, d’écoles coraniques, de puits et de centres d’accueil, bien avant sa codification dans le droit moderne sénégalais. Mais de quoi parle-t-on concrètement ? Les spécialistes le définissent comme le fait de préserver un actif tout en consacrant son usufruit à des œuvres de bienfaisance.
Le principe est simple : on immobilise un capital — foncier, financier ou autre — dont les revenus sont utilisés pour financer des actions d’intérêt général. Hôpitaux, écoles, orphelinats, mais aussi programmes d’accès à la santé, à la formation ou à l’emploi, les champs d’application sont vastes. Aujourd’hui, le Waqf ne se limite plus à la sphère religieuse. Il devient un véritable outil de développement. Face aux défis sociaux croissants, l’État sénégalais entend l’utiliser comme levier pour réduire la pauvreté, améliorer l’accès aux services de base et soutenir les couches les plus vulnérables de la population. Ce n’est plus seulement un acte pieux, mais une stratégie publique. Les responsables du secteur l’ont bien compris. Le directeur général de la Haute Autorité du Waqf a annoncé des orientations fortes : « Nous mettons l’accent sur l’investissement dans les Waqf publics pour soutenir les populations vulnérables. » Il est ainsi question de mettre en place des Waqf immobiliers pour la construction de « daaras » modernes, mais aussi de développer un fonds monétaire Waqf public pour financer des microprojets à fort impact social.
Un Waqf agricole est également à l’étude, destiné à stimuler l’entrepreneuriat rural et la sécurité alimentaire. Ces projets traduisent une volonté claire : moderniser le Waqf, le rendre plus efficace, mieux encadré, et capable de répondre aux réalités contemporaines. Les autorités travaillent déjà à une révision de la loi de 2015, afin de l’adapter aux exigences actuelles. Il est aussi question de défiscalisation des Waqf publics et d’intérêt général, ainsi que de l’acquisition de foncier stratégique pour porter les projets à l’échelle nationale. Cette évolution du Waqf s’inscrit dans un mouvement global. De nombreux pays musulmans redécouvrent cet instrument et l’intègrent dans leurs politiques économiques. Grâce à la coopération multilatérale, notamment dans le cadre de l’Organisation de la coopération islamique (Oci), le Sénégal bénéficie d’un appui technique et financier qui renforce sa capacité à structurer et étendre le champ du Waqf.
Plus qu’une simple tradition réactivée, le Waqf devient un pont entre foi et développement, entre spiritualité et gestion stratégique des ressources. C’est là toute sa force : faire dialoguer l’héritage et l’innovation, la générosité individuelle et la solidarité organisée. Reste à convaincre les citoyens, les entreprises et les institutions de la pertinence du modèle. Car le Waqf, pour fonctionner, a besoin d’engagement. Il suppose une confiance dans la gestion, une transparence dans l’affectation des fonds et une vision partagée de ce que doit être le bien commun. oumar.fedior@lesoleil.sn