L’histoire est belle. Passionnante. Simplement révélatrice d’un besoin d’identification à un héros. Ou du moins à une réussite dans une société où les masses sont souvent à la recherche d’une référence, d’un exemple à qui l’on voudrait s’identifier, ressembler. Un modèle de réussite. D’une réussite donc qu’on voudrait soi, qu’on incarne.
Cette histoire de Demba Hamady Sada Bâ a tout d’une légende, même si elle est documentée, localisée, visible, perceptible, donc réelle. Elle est celle de ce berger qui a connu un retour triomphal dans sa terre natale de Mbanane, village qui risque d’être sous peu absorbé par Boyinadji, un autre village qui avec ses tentacules a pris les allures d’une ville de campagne. Cette ville de Boyinadji, dont est originaire le célèbre défunt Thierno Amadou Boyinadji et à une dizaine de kilomètres de Matam, est distante donc du fief du désormais héros Demba Hamady Sada Bâ d’un kilomètre.
Mbanane sort de l’anonymat du fait de son fils prodige qui n’a pas bravé les mers et océans, les cieux également pour aller chercher fortune. Le jeune berger, qui aurait moins de 30 ans, fait aujourd’hui la fierté de toute une contrée. Et mieux, de la culture peule ou du « pulaagu ». En atteste son retour triomphal, le 22 juillet dernier, dans son village qui a été le point de ralliement de nombreuses personnes qui s’y sont donné rendez-vous pour l’accueillir. Venant de partout du Fouta, de l’autre rive du fleuve Sénégal dans le Fouta mauritanien, de Dakar… ces nombreuses personnes ont voulu manifester au jeune berger toute leur fierté de le voir revenir au bercail en ayant « accompli sa mission ». Donné plutôt en exemple à suivre. Un retour donc en transes. Triomphal.
En apothéose puisque depuis l’entame du retour du bercail depuis le Mali, les réseaux sociaux aidant et permettant de mesurer sa marche de retour vers le pays natal, le jeune homme a été partout accueilli en héros. Les faits d’armes du berger se révèlent avec ses têtes d’ovins qu’il a pu glaner, fructifier, multiplier ces cinq dernières années depuis qu’il a décidé, à l’instar de nombreux bergers, d’aller vers des pâturages plus abondants et verts dans la quête de nourrir son cheptel. Du Fouta, il a migré avec ses bêtes à l’est, dans le Mali voisin où les pluies sont plus régulières, l’herbe plus belle et savoureuse.
D’un petit nombre donc, ce cheptel s’est largement diversifié, faisant aujourd’hui plus d’une centaine de têtes. Il a su aussi jouer avec les moyens modernes de communication pour tenir ses followers en haleine. Retenant la date donc du 22 juillet pour l’arrivée dans son fief. Les gendarmes finiront par mobiliser plusieurs pick-up et hommes pour assurer la sécurité des biens et des personnes présentes sur les lieux. Tellement, elles étaient nombreuses. Les images et vidéos sont virales sur les réseaux sociaux. À l’arrivée, une petite déclaration du jeune appelant à sacraliser le travail, à s’attacher aux coutumes, au « pulaagu », à la solidarité.
Décortiqué sur les réseaux sociaux, le succès du berger est salué comme le fruit d’un travail acharné, d’une discipline, d’un sérieux, d’une aura (« bayré »)… Ce succès révèle, à coup sûr, le sérieux dans le travail qu’il a abattu d’autant plus qu’il développerait une complicité fascinante avec ses bêtes. La seule certitude est que ce succès endogène montre la possibilité de réussir en terre sénégalaise sans voyager, braver les bras de la mer ou se perdre en désert pour un faux eldorado. Un jeune donc à donner en exemple aux jeunes de ce pays.
L’autre secret de sa réussite est, comme il l’a sous-entendu, c’est son attachement à sa culture. Aux sept interdits par lesquels jurent les Peuls. Fruits d’une sagesse établie depuis la nuit des temps, les Peuls étaient respectueux de ces interdits qui définissaient, quelque part, leur identité. Ceux-ci veulent que le Peul ne vole pas. Qu’il ne mente pas, n’ait pas peur, ne trahisse pas. Mais aussi qu’il ne tourne pas le dos à sa parenté. Encore moins qu’il ne trahisse son engagement. Et last but not least, qu’il ne soit pas avare.
Des interdits qui semblent appartenir à une autre époque tant l’exemplarité et la vertu ne sont pas toujours présentes dans les actes posés par bon nombre de Peuls. C’est là que le parcours de Demba Hamady Sada Bâ devient intéressant et exaltant.
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE