Au Sénégal, comme sans doute partout ailleurs, la santé demeure au cœur des préoccupations premières des populations. Pouvoir se soigner lorsqu’on est malade n’est pas seulement un besoin vital : c’est l’essence même de la vie. Car un être souffrant perd plus que ses forces — il perd une part de sa dignité. D’où l’importance du médecin, qui en devient le gardien silencieux.
L’homme n’est rien lorsqu’il est malade, surtout si la maladie l’isole, l’humilie ou le handicape. Aussi, la femme ou l’homme qui l’aide à se relever, à guérir et à retrouver sa place parmi les siens accomplit un acte qu’aucun salaire ne peut rémunérer . Le médecin soigne sans tout connaître, mais avec une bienveillance qui touche parfois au divin. Oui, le diable n’assiste pas et ne guérit pas : il déshonore et tue. Le médecin, lui, restaure.
Dans sa conception la plus large — du docteur à l’aide-soignant, de l’infirmier à la sage-femme —, il incarne ce que l’humain a de plus noble : la sollicitude. Jour et nuit, il veille. Il ne faiblit pas malgré l’ampleur de la tâche. Il consulte, prescrit, opère, panse des plaies et apaise des douleurs sans un soupir, sans une grimace. Même face à une plaie infectée, à un corps meurtri, il ne détourne pas le regard. Il soigne, toujours, et dans ses gestes se glisse un mot, une compassion, un sourire.
« Massa », dit-il souvent, juste avant de piquer. Ce massa — si court, si banal — devient en lui-même un anesthésiant. La piqûre fait moins mal parce qu’elle est donnée avec humanité. Je peux en témoigner, pour avoir été contraint, durant près de deux ans, à fréquenter hôpitaux et cliniques. Pour avoir été hospitalisé onze jours à l’Hôpital Principal, dont cinq aux urgences. J’y ai vu l’humanité à l’œuvre, dans toute sa simplicité : l’étudiant venu en stage d’application, le médecin-chef attentif, les infirmiers au sourire constant, même derrière les masques.
Un infirmier de nuit, presque mon ange gardien, répondait au moindre gémissement. Il accourait, ajustait la perfusion, rassurait d’un mot doux. Et lorsque la douleur se calmait enfin, venait la petite blague, la prière sincère — ce mélange si sénégalais de tendresse et de foi. C’est dans ces moments de vulnérabilité que j’ai compris combien la médecine, quand elle est servie par des cœurs droits, est l’un des derniers refuges de la dignité humaine.
Ces femmes et ces hommes méritent notre respect, malgré les manquements, parfois graves, qui peuvent survenir dans l’exercice de leur mission. Car, comme dans toute corporation, il y a des brebis galeuses dont la négligence ou l’arrogance ternit l’image du groupe et efface la beauté des dévouements silencieux. Mais l’erreur d’un seul ne peut éteindre la lumière des autres.
Sur le chemin du retour, à la sortie de l’hôpital, je me suis fait une promesse : si un jour, je deviens président de la République, le personnel de santé figurerait parmi les mieux rémunérés de la fonction publique. Une promesse de convalescent, donc sans valeur réelle — car je sais bien que je ne serai jamais président. Mais l’idée, elle, vaut serment. Car, comme l’écrivait Albert Schweitzer, lui-même médecin : « Il n’y a pas de plus grand acte de foi en la vie que de soigner un autre être humain. »


