L’adage résonne encore dans nos mémoires malgré la marche du temps et le soin de mille urgences quotidiennes : « Tout ce qui brille n’est pas de l’or ». Pourtant, sans être cet or de l’adage, « l’or noir », appellation donnée au pétrole pour les profits qu’en tirent ceux qui l’exploitent, brille de mille feux sous le ciel sénégalais. Le champ de Sangomar se révèle prolifique au vu des niveaux de production annoncés. Un nouvel espoir surgit de cette île-pâturage parcourue de moult légendes qui en renforcent le charme. Maintenant, place à un rêve éveillé à coup de barils bet, demain de Cfa.
L’histoire revient à l’endroit, à travers une nouvelle opportunité de croissance et de bien-être. Il y a quelques semaines, « l’or dur » était sous les feux de l’actualité, à travers un mouvement d’humeur des récupérateurs de Mbeubeuss face à la perspective de modernisation de cette décharge. Ça parlemente et ça gesticule. Tout le monde veut briller, non pas comme l’or, mais comme un Monsieur Audace du coin. De grosses attentes pour des efforts très faibles ! L’or est un miroir de notre société. Cette glace est en elle-même un divan sur lequel s’installe notre société dans ses délires de grandeur. La relation étroite entre l’or et l’apparence révèle la véritable dimension du faux. Au test de l’authenticité de l’or comme au test de personnalité, il ne faut pas rester à la surface des choses. Grattons un peu pour en révéler la substance. Quelquefois, sous la couche plus ou moins épaisse qui éblouit par son éclat, se trouve l’objet de l’arnaque à travers un métal moins prestigieux. Là, le métal précieux ressemble terriblement aux interactions en société. Les mots mielleux sont savamment sélectionnés pour devenir les maillons de la chaîne de l’arnaque. La cible est charmée, ligotée et dépouillée avec son consentement et ses remerciements appuyés. Le réveil ? Bien plus tard, lorsque les dégâts vont s’empiler ! Le bijou qui brillait tout à l’heure au point d’éblouir un acheteur non averti devient une vulgaire pacotille.
La politique en prend pour son grade dans sa relation à la vérité. Les bijoux de pacotille sont définis comme des « bagues-politique », « bracelets-politique », « boucles d’oreille-politique », etc. Simplement pour dire qu’ils ne sont pas authentiques ! Maintenant que la fourberie est un fléau sociétal, collera-t-on à ces bijoux les métiers de journaliste indélicat, médecin, ingénieur, enseignant, avocat, menuisier, mécanicien, cordonnier, artiste ? La faillite éthique d’un membre d’une corporation exprime plus la faiblesse de ce membre d’une corporation que la maladie de toute une corporation. La fourberie est aussi universelle que la probité. Au-delà de son caractère inné, cette contre-valeur peut s’acquérir au contact de mille situations et de mille opportunités. Il existe une expression du siècle dernier qui, me semble-t-il, valait son pesant d’or lorsqu’une sommité marquait son époque et sa profession : il ou elle « a donné à son métier ses lettres de noblesse » ou bien « il a écrit son histoire en lettres d’or ». Ce modèle de serviteur acharné de la Nation est aux antipodes du phénomène de « Golden Boy » aux réussites fulgurantes et aux heures de gloire si éphémères. Le bling-bling, tintement et éclat sur les chaînes, bagues et bracelets, est une culture de la faillite de l’ambition solide et durable.
Cette gloire en trompe-l’œil dure le temps que la peuplade se retourne pour dévisager l’objet de sa curiosité. Au « m’as-tu vu » comme icône mondaine, il faut alors préférer « m’as-tu aimé comme référence absolue d’homme, de voisin, de père ou mère de famille, de frère, d’ami.e, de collègue ou de travailleur ». Il est temps d’enseigner aux enfants que les histoires de Kouss, nain à la calebasse prodigieuse des contes anciens, construisent plus les cauchemars des fainéants qu’ils n’alimentent les rêves de grandeur des peuples. Les arnaques qui « brillent » relèvent des envies de rayonnement incontrôlées. Or jaune ou noir, l’adrénaline monte à la bourse des convoitises, éblouit et plonge dans la déraison.
En français désespérément facile, c’est ce qu’on appelle « la malédiction ». Une expression relevant d’une fatalité déconcertante qui ignore le facteur humain. L’homme sait perdre son âme pour la matière, que celle-ci s’appelle or, pétrole, gaz, bauxite, manganèse, etc. La parade ? Tout est avant tout amour. Amour de son pays, amour de soi et amour de l’autre à l’inverse de la haine de son pays, la haine de soi et la haine de l’autre. Qu’il serait beau si chaque citoyen pouvait répéter, pour son pays, à la suite de William Shakespeare : « Si un jour je meurs et qu’on m’ouvre le cœur, on pourra lire en lettres d’or : je t’aime encore. » Cette profession de foi est d’or. Elle envoie les anti-valeurs à Mbeubeuss, la décharge de « l’or dur » et les valeurs à Sangomar, nouveau champ du rêve pluriel.