La chanson Arva, interprétée par l’artiste Jahman, vue d’un œil de juriste et de féministe, dépasse le cadre d’un simple hommage musical.
En célébrant le Colonel des Douanes Arva Kane, femme de devoir alliant responsabilités professionnelles et rôle d’épouse, cette œuvre met en lumière le long combat juridique des femmes pour accéder aux emplois militaires au Sénégal (I).
Mais à travers cette figure, c’est aussi toute une trajectoire sociale et culturelle qui se trouve consacrée : celle de la reconnaissance de la compétence féminine dans un domaine longtemps réservé aux hommes (II).
I/ UNE CHANSON, SYMBOLE D’UNE RÉVOLUTION JURIDIQUE ABOUTIE :
L’analyse de l’historique des textes régissant les fonctions militaires et paramilitaires, renseigne que les femmes ont toujours été exclues des emplois publics dans l’armée et les corps paramilitaires. Le service militaire était seulement réservé aux hommes.
La loi 70-23 du 6 juin 1970 portant organisation générale de la défense nationale a institué un service national non obligatoire.
Cependant, l’article 19 de cette loi excluait les personnes de sexe féminin de ce droit.
En effet, après l’indépendance, l’armée et les corps paramilitaires (gendarmerie, douanes, police etc.) demeuraient essentiellement masculins.
Ce n’est qu’en 1984, que l’intégration des femmes dans les emplois militaires a commencé avec leur recrutement à l’École militaire de santé.
Cette réforme venait mettre fin à une contradiction avec l’article 8 de la loi n°61-33 du 15 juin 1961 relative au statut général des fonctionnaires qui interdit toutes discriminations entre les deux sexes, pour l’application de ladite loi.
Dans cette même logique, d’importantes initiatives juridiqus seront prises avec l’alternance de 2000. C’est ainsi que des réformes juridiques majeures sont entreprises avec la Constitution de 2001.
Ensuite, par décret n° 2006-515 du 9 juin 2006 portant recrutement exceptionnel et à titre transitoire de personnel féminin dans les fonctions militaires et paramilitaires, les femmes sont recrutées dans la gendarmerie, avec l’ouverture de la première promotion d’élèves sous-officiers, puis progressivement dans les autres administrations paramilitaires, notamment les douanes.
En 2008, l’armée sénégalaise ouvre ses portes aux femmes pour le recrutement de soldates et d’officiers dans divers corps, y compris la marine et l’armée de l’air.
Loi sur la parité, votée en 2010, est venue renforcée cette légitimité des femmes à prétendre aux mêmes postes que les hommes.
II/ UN HIT, CONSACRANT LA RÉUSSITE D’UNE « DOUBLE VIE »:
Arva n’est pas une « tube » ordinaire : c’est une chanson militante et inspirante. Jahman, peut-être sans le savoir, réussit à incarner dans la figure du Colonel Arva Kane l’image de la femme moderne, capable de concilier vie professionnelle exigeante et devoir conjugal.
L’œuvre musicale s’érige ainsi en plaidoyer artistique pour l’égalité et la reconnaissance des femmes dans l’espace militaire.
En effet, le recrutement des premières femmes officiers dans les Douanes, consacrant l’égalité dans un domaine historiquement masculin. Longtemps réservées aux hommes, les portes des douanes se sont ouvertes aux femmes par des concours d’entrée et des mesures de promotion interne, à la suite de différentes étapes d’émancipation.
L’ascension du Colonel Arva Kane illustre ainsi le parachèvement de ce processus : non seulement accéder à un milieu qui était purement masculin, mais y entrer et sortir du lot.
Son grade de Colonel est la preuve que les femmes peuvent exceller dans un environnement de rigueur et de commandement.
Le texte de la chanson insiste sur sa capacité à harmoniser vie familiale et carrière exigeante.
Elle devient, à ce titre, un symbole collectif.
Au-delà de sa personne, Arva Kane incarne toutes les femmes qui, hier exclues, sont aujourd’hui reconnues comme actrices à part entière de la défense et de la sécurité du pays.
Maître Tanor DIAMÉ, Greffier