Le Sénégal a vécu un jour de tristesse, une journée qui a meurtri les âmes des combattants de la liberté.
Par-delà les frontières tracées pour morceler un continent, l’affaiblir et l’asservir, un homme a consacré toute sa vie à la lutte pour la liberté, la démocratie, l’égalité des droits et la souveraineté de l’Afrique.
Maître Khoureysi Ba s’en est allé. Discrètement.
Avocat émérite, parmi les plus talentueux, il révéla sa plume acérée dans le journal Sopi. Le peuple sénégalais découvrait alors son engagement militant pour la défense du grand nombre, dans un contexte de violente répression menée par la bourgeoisie senghorienne alliée à l’impérialisme français.
Ce journal révéla un grand combattant pour les libertés et contre le néocolonialisme, mais aussi un intellectuel au savoir encyclopédique, qui donnait sans jamais rien attendre en retour, si ce n’est le poids de la condition des laissés-pour-compte.
Ses éditoriaux, notamment dans le journal Le Témoin, furent des armes redoutables, qui lui valurent un séjour en prison. Cette épreuve acheva de forger un soldat résilient, déterminé à poursuivre la lutte pour les droits humains.
Sa première grande victoire fut celle de la démocratie, avec l’émergence d’un multipartisme limité à quatre courants politiques : le communisme, le socialisme, le libéralisme et le conservatisme.
La satisfaction qu’il en tira fut immense. À ses yeux, elle valait tous les honneurs et tous les privilèges. Il s’en délecta.
L’homme se distinguait par sa modestie, la force de ses idées, le courage de son engagement, et par une immense culture, à une époque où mille intellectuels rivalisaient et s’affrontaient avec l’élégance du savoir et la puissance de la persuasion.
Il s’était façonné l’armure d’un militant perpétuellement en croisade contre l’arbitraire et pour la dignité humaine.
Soldat infatigable, ne dormant jamais sur les lauriers durement conquis, il inscrivit une nouvelle fois son nom dans l’histoire lors de la première alternance politique. Il y contribua largement, toujours sans rien demander ni recevoir, alors que beaucoup se pressaient aux portes de la somptueuse résidence de l’avenue Roume × République, à la quête de nominations et de privilèges.
Cheikh Khoureysi Ba avait choisi d’enfiler la robe d’avocat pour renforcer sa plume avec le verbe, et continuer le combat pour l’État de droit, la justice, la maturation d’une démocratie encore embryonnaire et la dénonciation du néocolonialisme.
La robe d’avocat révéla très vite son panafricanisme, à travers la défense de militants des droits de l’homme persécutés dans d’autres pays africains.
Sa foi, ainsi que sa connaissance de l’islam et du Coran, étaient pures et immenses.
Il incarnait l’élégance de la plume et du verbe.
Sa troisième grande satisfaction, de nature à faire oublier les détresses matérielles qu’inévitablement engendrent les luttes, fut la victoire de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. Il le défendit lorsqu’il était encore dans l’opposition et politiquement persécuté.
Cet homme, donc, a tiré sa révérence.
Infatigable et généreux, il portait en secret la maladie et la fatigue accumulées par près de trois générations de combats, sans jamais les laisser transparaître, avivant par son ardeur et son abnégation les luttes de tant d’autres.
Adoubé par un peuple, et par les millions de personnes qui bénéficièrent de ses combats contre la tyrannie des États et contre l’injustice, il accompagna son pays dans la conquête de sa souveraineté, résistant à l’exploitation de ses gouvernants et à leur connivence avec les multinationales et les anciens colons.
Le Cheikh obtint sa quatrième et dernière satisfaction, qui le mena au panthéon de l’histoire de son pays : un devoir désormais pèse sur la nation de lui décerner, à titre posthume, une couronne pour la postérité.
Dans ce dernier combat, Khoureysi Ba se révéla une fois de plus. Il fit face à des tueurs à visage découvert, respira le poison des bombes lacrymogènes jetées sur les convois de son client, alors martyrisé et érigé en paria de la République.
Ce fut, hélas, son dernier combat. Cette révolution à laquelle il s’était marié.
Le Cheikh laisse derrière lui des orphelins de sa science et de son savoir, ainsi que ses compagnons de plus de cinquante années de lutte ininterrompue, qui resteront inconsolables.
La rencontre à sa dernière demeure, dans le recueillement et la prière, raffermira l’espérance que Sonko et Diomaye maintiendront, avec le peuple, le cap vers l’idéal de justice et de souveraineté qu’il n’a cessé de défendre.
Le Cheikh Khoureysi s’en est allé, mais il demeure un livre ouvert. Gardons à jamais le souvenir de ce qu’il a offert à son pays et à l’Afrique.
Ses compagnons de l’ultime combat promettent de tenir haut le flambeau qu’il a allumé, pour honorer constamment sa mémoire.
Dors en paix, vaillant combattant ! Tu as mérité de la Patrie.
Maîtres Ciré Clédor Ly, avocat au barreau de Dakar, et Juan Branco, avocat au barreau de Paris.