Les gens ont la colère à fleur de peau à l’évocation de la dépigmentation de la peau. Vraiment ! C’est un sujet de bal masqué sans masque physique. Il suffit d’un gel pour la transformation physique. Cette transformation, presque tout le monde la veut mais personne ne veut en admettre les effets sur le corps. La preuve ? Dans les années 2000, un documentaire d’une chaîne étrangère avait défrayé la chronique. Une levée de boucliers, faudrait dire, carrément. « Négresse blanche », c’est le titre du court métrage quasiment qualifié de pamphlet télévisuel. Ce film a mis en scène des noires qui préféraient la peau « blanche » à l’ébène en s’appliquant des produits de dépigmentation. Naître noire et devenir blanche, en quelque sorte. Du moins dans l’apparence. Il suffit de dissoudre l’effet de la mélanine sur la couleur de la peau. Les cheveux crépus, selon la convention acceptée et quelquefois raciste, cèdent la place à des greffages ou mèches tissées avec goût ou fantaisie.
Il y en a même des roses ! Tout l’attirail de la beauté est mobilisé pour créer un modèle de beauté canon. Pas scandaleux dans cette société du paraître ! La banalisation des transformations physiques a créé « Négresse blanche », ce prototype offensant pour les âmes pudiques de chez nous, par opposition à « Négresse, ma chaude rumeur d’Afrique » de David Diop, par ailleurs auteur d’« Afrique, mon Afrique » et, surtout, du poème « Le renégat » fustigeant l’attitude du Noir qui singe son « Maître » blanc au point de souffrir d’une solitude mentale dans son acculturation. La présence des siens n’éradique pas le sentiment d’abandon. Sous nos cieux, il est inutile de chercher une âme qui accepte d’être le renégat de David Diop.
Pour cette raison, « Négresse blanche » ne trouvera toujours pas un public conquis au regard de la clameur soulevée par la note de service de l’administration du Grand Théâtre national. Des persona non grata d’un genre très courant ont été identifiées : les dames « xessalisées », ainsi qu’on les appelle de manière vulgaire dans le parler de la rue et/ou portant des greffages et des perruques. Gloire à l’authentique et haro sur le superficiel. C’est bien l’histoire de coups de pinceau et de greffes qui ne sont pas les bienvenus dans l’antre de la culture si bien nommé Doudou Ndiaye Coumba Rose. Qu’en sera-t-il de la chirurgie esthétique qui donne à des Africaines un nez aquilin ? Cette fièvre du bistouri qui relifte le physique s’empare de notre pays de la même manière qu’elle a traversé l’Asie. Pour « l’image de l’institution » et pour « les valeurs panafricaines », le Grand théâtre a eu droit à un bashing théâtral en vingt-quatre heures ! La note a été retirée et tout ce ramdam a été mis sur le compte d’un malentendu. Pourtant, au-delà de cette réalité renversante, dans la perception idéologique, ce coup de balai cosmétique pourrait être une célébration de « Pigments » du poète de la Négritude Léon-Gontran Damas. Le jeune homme a refusé l’assimilation par la tenue à la table à manger. Un rejet des « bonnes manières » quoi ! La tentative de purge esthétique ou cosmétique est une réinterprétation de « Peau noire, masques blancs » de Frantz Fanon.
La colonisation a eu des conséquences psychologiques sur les dominés. L’enveloppe (la peau) cachait mal l’aliénation (le masque ou le visage transformé par l’assimilation). La rédemption a fini par avoir raison de la résignation. Fanon, à la fin, regarde le monde dit blanc dans les yeux pour proclamer son humanité aux antipodes des « rires banania » que Senghor avait promis de déchirer « sur tous les murs de France ». Une manière de fustiger la caricature du Nègre. Attention : les temps ont bien changé ! La proclamation, à elle seule, ne suffit pas ! L’authenticité ne se décrète pas, il faut bien s’en rendre compte. Au-delà de la couleur de la peau, c’est l’âme profonde qui forge l’identité. Il est bien possible d’avoir une peau blanche et une âme noire. Les valeurs panafricaines ne sont pas que noires et portées par la couleur de la peau. L’Afrique n’est pas une réalité monolithique. Elle est une diversité chromatique tant pour la peau que pour les paysages, du Nord au Sud et d’Est en Ouest. C’est également une grande diversité culturelle. Il existe bien des Africains à la noirceur de la peau frappante mais qui se targuent de vivre comme des Blancs. L’expression « mon Toubab noir » (sama Toubab bu ñul bi) a bien grisé beaucoup de jeunes d’ici.
Lorsque quelqu’un s’isole de la communauté, adopte des postures distinguées et remet en cause les manières d’être, la sentence complaisante tombe : « kii moom Toubab la » (lui/elle est un(e) Toubab). Cela fait snob, dans certains milieux, de coller l’étiquette aux marginaux très soft. Cela fait également snob, pour certains, d’accepter cette montée en considération aux yeux de la société ! C’est le versant mental de cette affaire. De la même manière, la dépigmentation est le reflet de notre miroir social. Elle traduit la défaite de l’attachement à la couleur originelle. D’une part, il y a le complexe du paraître. Les canons de beauté cèdent à la tentation de l’apparence jugée plus lisse. La nature perd du terrain sur la culture de la figure sophistiquée. D’autre part, il y a la banalisation de l’apparence authentique qui découle d’une évolution de la manière de voir la couleur de la peau. Les mutants ou mutantes de la peau n’ont pas conscience d’une anomalie en passant d’un aspect noir à un aspect clair. Pourtant, sans apposer des tracts sur les murs de Dakar, des maîtresses de maison font le serment de ne pas engager des travailleuses domestiques dépigmentées. Il se susurre également que des chirurgiens ne seraient pas enthousiastes à s’occuper des peaux quasiment tannées. C’est sérieux. Cependant, attention à la stigmatisation sur fond de sexisme ! Il serait plus juste de dire le sort réservé aux hommes qui ont leurs tubes et sont aux bons soins des alchimistes. La dépigmentation n’est plus qu’une affaire de femmes.