Les enjeux des quatre projets de lois présentés à l’Assemblée nationale du Sénégal lors de la première session extraordinaire ouverte le 18 août 2025
1. Le projet de loi n°14/2025 relatif à l’accès à l’information:
Ce projet de loi constitue un instrument essentiel pour la transparence démocratique. Il vise à garantir aux citoyens, aux journalistes, aux organisations de la société civile et aux chercheurs un droit effectif d’obtenir des informations détenues par l’administration publique et parapublique, dans un délai de 8 à 15 jours, gratuitement ou à faible coût. Son enjeu principal est de renforcer la participation citoyenne, d’améliorer la qualité de la gouvernance, de réduire l’opacité dans la gestion des affaires publiques et de favoriser un débat public informé basé sur des sources fiables. Ce texte s’inscrit dans les standards internationaux de transparence, tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, et répond à une demande sociale forte de redevabilité.
Selon l’exposé des motifs présenté devant l’Assemblée nationale, la présente loi promeut la consolidation de la démocratie, de l’État de droit et l’amélioration de l’environnement des affaires. Elle ambitionne d’instaurer un débat public constructif en donnant aux citoyens les moyens légaux et opérationnels pour fonder leurs opinions sur des informations authentiques. Composé de cinq chapitres, le texte définit le champ d’application, les modalités d’exercice du droit d’accès à l’information et introduit les avancées majeures suivantes : la consécration du droit d’accès à l’information auprès des assujettis ; la création de la Commission nationale d’accès à l’information (CONAI), une autorité indépendante de 12 membres chargée de sensibiliser, enquêter, recevoir des recours en cas de refus injustifié, recommander des réformes et publier un rapport annuel ; l’instauration d’un régime de sanctions pénales à l’encontre des assujettis en cas de manquement à leurs obligations ; l’abrogation des dispositions des articles 23, 24 et 25 de la loi n°2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs.
Ce projet s’inscrit dans un paquet législatif anti-corruption (réforme de l’OFNAC, protection des lanceurs d’alerte, déclaration de patrimoine), renforçant les enjeux globaux de lutte contre la corruption et de souveraineté économique. Il consacre le droit d’accès à l’information comme un outil essentiel pour lutter contre la corruption, favoriser la participation citoyenne et améliorer l’efficacité des services publics. Par exemple, les citoyens pourront demander des informations sur les budgets, les contrats publics, les recrutements ou les décisions judiciaires, renforçant ainsi la confiance dans les institutions. Sur le plan économique, le texte ambitionne d’améliorer l’environnement des affaires en favorisant la transparence dans la gestion des finances publiques et des partenariats public-privé. Son adoption rapide, prévue pour la session extraordinaire de l’Assemblée, sera cruciale pour transformer ces enjeux en réalités concrètes.
2. Le projet de loi n°13/2025 portant statut et protection des lanceurs d’alerte:
Ce projet de loi vise à établir un cadre légal pour encourager et protéger juridiquement les personnes physiques ou morales de droit privé à but non lucratif qui, dans le cadre de leurs activités professionnelles, signalent, communiquent ou divulguent de bonne foi des informations relatives à la commission ou à la tentative de commission d’actes portant sur un crime ou un délit financier, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation de violation affectant la gestion des finances publiques ou privées. Ce texte, inédit en Afrique francophone subsaharienne, garantit la confidentialité, l’anonymat (sauf consentement), la protection contre les représailles (licenciement, harcèlement, etc.), étendue aux proches au premier degré et aux facilitateurs, ainsi que l’accompagnement juridique. Il introduit des mécanismes comme des canaux de signalement internes (via un référent indépendant) et externes (vers l’OFNAC ou équivalent), avec la possibilité de divulgation publique en cas d’inaction après 2-3 mois. Un fonds spécial de recouvrement des avoirs illicites, financé par les restitutions et aides internationales, prévoit une récompense financière (10% des montants recouvrés) pour les lanceurs d’alerte ou prête-noms, un incitatif inédit pour motiver les signalements.
Une fois votée, cette loi ne sera pas une légalisation de la diffamation ou de la diffusion de fausses nouvelles. Elle exclura de son champ d’application les faits, informations et documents relatifs au secret de la défense nationale, au secret des délibérations judiciaires, au secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaire, au secret médical, au secret des relations entre l’avocat et son client et tout autre secret protégé par les lois ou règlements en vigueur. Les lanceurs d’alerte sont exemptés de responsabilité pénale ou civile pour les divulgations de bonne foi, y compris pour le vol de documents prouvant les faits.
Ce projet, s’inscrivant dans les engagements anti-corruption du parti Pastef et du président Bassirou Diomaye Faye, élu en 2024, répond à une demande de longue date de la société civile. Il est crucial pour encourager une culture de dénonciation constructive, briser la “loi du silence” et rompre avec le silence complice face aux pratiques illicites dans les institutions publiques et privées. Il renforce la lutte contre la corruption en augmentant la redevabilité, accélérant la récupération d’avoirs illicites (estimés à des milliards de FCFA) et finançant des projets sociaux via le fonds spécial. Aligné sur les standards internationaux comme la Convention des Nations Unies contre la corruption, il positionne le Sénégal comme leader régional. Les ateliers parlementaires ont formé les députés à ces enjeux, soulignant l’importance d’une loi crédible pour la réputation internationale du pays. Toutefois, les enjeux d’implémentation sont cruciaux : les institutions judiciaires et administratives doivent être renforcées pour traiter les signalements rapidement, sous peine d’inefficacité.
3. Le projet de loi n°12/2025 portant création de l’Office national de lutte contre la corruption (OFNAC):
Ce projet de loi traduit la volonté de l’État, sous le régime de Bassirou Diomaye Faye, de réformer profondément l’appareil de lutte contre la corruption en abrogeant les lois n°2012-30 du 28 décembre 2012 et n°2024-06 du 9 février 2024 pour créer un nouvel OFNAC plus focalisé, autonome et doté de moyens d’investigation efficaces. Il vise à prévenir, détecter et sanctionner la corruption, l’enrichissement illicite et les pratiques assimilées (trafic d’influence, abus de fonction), tout en excluant les missions d’audit (dévolues à la Cour des Comptes et l’Inspection générale d’État) et de lutte contre la fraude (fiscale, douanière ou bancaire, relevant des administrations concernées). L’OFNAC peut toutefois requérir le concours d’experts agréés pour ses investigations.
Le nouvel OFNAC se concentre sur la coordination des actions anti-corruption, la centralisation des informations, la promotion de l’intégrité dans la gestion publique et la collaboration avec les autorités judiciaires. Ses pouvoirs d’investigation sont renforcés (accès à des documents sans secret professionnel opposable, gel administratif de biens, coopération internationale), et il peut proposer des réformes législatives pour promouvoir la transparence dans les transactions publiques et commerciales. Il systématise la procédure d’appel à candidature pour la nomination de ses 12 membres (dont un président et un vice-président, mandat unique de 5 ans non renouvelable), garantit son autonomie financière (dotation budgétaire, dons, partenariats) et impose la publication libre des rapports annuels des corps de contrôle. Les conditions d’assujettissement à la déclaration de patrimoine sont révisées, abaissant le seuil à 500 millions FCFA pour les gestionnaires budgétaires.
Le projet supprime des dispositions controversées de la loi n°2024-06, comme la possibilité pour l’OFNAC d’ordonner une garde à vue, qui empiétait sur les compétences judiciaires et violait la présomption d’innocence, limitant ainsi l’OFNAC à des investigations préliminaires avant transmission au procureur. Les enjeux principaux incluent la rationalisation des institutions pour une expertise plus pointue, l’alignement sur les conventions internationales (ONU, Union africaine, CEDEAO) et la restauration de la confiance entre l’État, les citoyens et les investisseurs en créant un environnement institutionnel crédible. Les programmes de sensibilisation et de formation de l’OFNAC renforceront l’intégrité dans les secteurs public et privé, mais des défis subsistent, notamment la nécessité de ressources suffisantes et l’évitement de résistances institutionnelles.
4. Le projet de loi n°15/2025 sur la déclaration de patrimoine:
Ce projet de loi révise et renforce le cadre légal existant sur la déclaration de patrimoine, abrogeant les lois n°2014-17 du 2 avril 2014 et n°2024-07 du 9 février 2024. Structuré en six chapitres (modalités de déclaration, personnes assujetties, dépôt, contrôle et vérification, sanctions, dispositions transitoires/finales), il transpose les directives régionales de l’UEMOA et s’aligne sur l’agenda national “Sénégal 2050” pour promouvoir une gouvernance sobre et vertueuse. Il oblige certaines catégories d’autorités, hauts fonctionnaires et élus à déclarer leurs biens (meubles, immeubles, actifs financiers, dettes) dans les 3 mois suivant leur nomination/élection ou cessation de fonctions, avec des détails précis (adresses immobilières, copies de titres, estimation des biens >20 millions FCFA pour meubles, >50 millions pour bijoux/art).
Le texte élargit le périmètre des assujettis pour mieux protéger les deniers publics, abaissant le seuil financier pour les exécutants de budgets de 1 milliard à 500 millions de francs CFA. Il inclut de nouvelles catégories exposées au risque de corruption : chefs de cours, tribunaux, parquets, doyen des juges d’instruction, présidents de chambres, membres des corps de contrôle, d’inspection, de vérification, d’audit, d’enquête et d’investigation (civils, militaires, paramilitaires), et directeurs dans les secteurs des mines, carrières et hydrocarbures. Une annexe, mise à jour annuellement après le vote de la loi de finances, liste les assujettis.
L’organe anti-corruption (implicitement l’OFNAC) effectue des contrôles de conformité, d’exactitude et d’évolution patrimoniale, délivrant un quitus en cas de sincérité (dans les 2 ans maximum après cessation de fonctions). En cas de conflit d’intérêts détecté, des mises en demeure et recommandations sont prévues. Les déclarations restent confidentielles (sauf requête judiciaire), mais une publication partielle (listes d’assujettis conformes/défaillants) est envisagée. Ce texte transforme la déclaration de patrimoine en un outil préventif contre la corruption, les conflits d’intérêts et les prête-noms, au-delà de la simple vérification post-mandat, tout en équilibrant transparence et respect de la vie privée.
Les enjeux sont doubles : garantir la transparence dans l’exercice des responsabilités publiques et faire de la déclaration de patrimoine un instrument de lutte contre la corruption, dissuadant l’accumulation illégale de richesses. Il répond à une demande citoyenne d’information sur les dirigeants, favorise une culture de probité et protège les ressources naturelles (pétrole, gaz, mines) en obligeant les signataires d’accès à déclarer. Aligné sur “Sénégal 2050”, il pourrait améliorer l’image du Sénégal auprès des bailleurs (FMI, Banque Mondiale), mais des résistances sectorielles (notamment dans les hydrocarbures) pourraient émerger si perçu comme un frein aux affaires. Combiné aux autres projets de lois, il contribue à l’édification d’un cadre juridique de bonne gouvernance et de reddition des comptes.
Maître Tanor DIAMÉ, Greffier à la Cour d’appel de Dakar.