Afrique, une croyance largement répandue veut que le développement devienne presque automatique dès lors qu’un pays est doté de ressources naturelles. Cette idée, séduisante mais dangereuse, alimente l’illusion selon laquelle l’or, le pétrole ou le gaz suffiraient à garantir à la fois la prospérité économique et une monnaie forte. Il est temps de déconstruire ce phantasme, d’autant plus tenace qu’il revient dans les discours souverainistes ou populistes de plus en plus présents sur le continent.
L’or n’est plus la garantie d’une monnaie forte
Depuis 1971, l’or a été démonétisé au niveau mondial. La fin du système de Bretton Woods et la décision américaine de suspendre la convertibilité du dollar en or ont mis fin à l’idée qu’une monnaie devait être adossée à un métal précieux. Désormais, toutes les monnaies sont dites “fiduciaires”, c’est-à-dire qu’elles reposent sur la confiance dans la capacité des autorités économiques à garantir la stabilité et la valeur de la monnaie.
Même si certaines banques centrales conservent de l’or dans leurs réserves, cela n’a aucune fonction directe dans l’émission monétaire. Il est donc illusoire de croire qu’un pays africain, sous prétexte qu’il produit de l’or, pourrait automatiquement créer une monnaie crédible, forte et stable.
On accumule de l’or avant tout pour sécuriser la valeur des réserves, car l’or demeure l’un des actifs financiers les plus stables sur le long terme.
Cela dit, il est tout à fait possible de maintenir une monnaie stable sans détenir une seule once d’or, à condition de disposer de réserves de change suffisantes en devises internationales.
Mais plus fondamentalement, la stabilité monétaire repose sur la solidité de l’économie réelle. Ce qui compte avant tout, c’est une économie productive, compétitive et bien insérée dans les échanges mondiaux.
Une telle économie permet de maintenir une balance des paiements équilibrée dans la durée, condition indispensable pour préserver la confiance dans la monnaie nationale.
Le contre-exemple du Zimbabwe
En 2022, le Zimbabwe a tenté de restaurer la confiance dans sa monnaie nationale en introduisant le Zimbabwe Gold (ZiG), une nouvelle monnaie officiellement adossée à l’or et à d’autres métaux précieux. L’objectif était de lutter contre l’hyperinflation, la dollarisation excessive de l’économie et la défiance généralisée des agents économiques.
Cependant, cette stratégie a rapidement échoué, et pour des raisons structurelles bien identifiées :
– le déséquilibre chronique de la balance commerciale : le pays importe massivement des biens de consommation, d’équipement et des denrées alimentaires, sans avoir une base exportatrice solide ni diversifiée.
– une inflation persistante alimentée par des déficits budgétaires non maîtrisés, des émissions monétaires sans contrepartie productive, et une érosion continue de la confiance dans les politiques publiques.
– un manque de réserves réelles d’or mobilisables et convertibles dans les transactions commerciales quotidiennes.
– une faible production nationale incapable de soutenir une demande intérieure croissante sans recourir aux importations.
L’expérience du Zimbabwe montre que l’ancrage nominal d’une monnaie à l’or ne suffit pas à en garantir la valeur. Sans une balance des paiements équilibrée, une politique budgétaire rigoureuse et une maîtrise de l’inflation, même une monnaie « adossée à l’or » devient rapidement instable et rejetée par les citoyens.
Le cas du Ghana : une expérience mal interprétée
En 2024, les exportations d’or du Ghana ont été particulièrement dynamiques, à la fois en volume et en valeur. La valeur totale des exportations d’or s’est élevée à environ 11,6 milliards de dollars, enregistrant une progression significative de 53 % par rapport aux 7,6 milliards de dollars en 2023. L’or a ainsi représenté près de 57 % des recettes totales d’exportation du pays.
Certains mettent en avant le Ghana comme un modèle, en soulignant que le pays aurait utilisé ses réserves d’or pour stabiliser sa monnaie. Or, cette vision est largement exagérée :
– le Ghana continue d’exporter massivement son or — plus de 130 tonnes en 2024, pour une valeur de 11,6 milliards USD, ce qui représente près de 60 % de ses recettes d’exportation.
– il n’exige pas d’être payé en or, mais en devises étrangères, essentielles pour financer ses importations, rembourser sa dette extérieure et stabiliser sa balance des paiements.
– le programme « Gold-for-Oil » n’est qu’un mécanisme ponctuel de troc destiné à réduire la demande de dollars pour acheter du carburant, et non une réforme structurelle de son régime monétaire.
En vérité, le cedi ghanéen est resté volatile, et sa stabilisation récente est davantage due à un programme du FMI et à la restructuration de la dette qu’à la monétisation de l’or.
Cela dit, il convient de noter que la hausse significative des cours de l’or en 2024 a eu un effet favorable sur la balance des paiements du Ghana, en augmentant considérablement la valeur des exportations aurifères.
Cette amélioration des comptes extérieurs a contribué à renforcer l’offre de devises sur le marché, réduisant ainsi la pression sur le taux de change et facilitant une stabilisation progressive du cedi. Ainsi, la dynamique du marché mondial de l’or, combinée à une bonne performance du secteur minier, a constitué un facteur d’appui, même si elle ne peut à elle seule expliquer le redressement de la monnaie nationale.
Le pétrole ne protège pas de la pauvreté ni des pénuries
Le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent, en est une illustration éclatante :
– le pays connaît des pénuries régulières de carburant, faute de capacités de raffinage et en raison d’une mauvaise gestion logistique et financière.
– il importe l’essentiel de ses produits pétroliers, ce qui l’oblige à mobiliser d’importantes réserves en devises.
– malgré ses ressources, le Nigeria a l’un des taux de pauvreté les plus élevés d’Afrique : plus de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté monétaire.
Le pétrole n’a pas permis au Nigeria de bâtir une monnaie solide ni une économie diversifiée. La rente pétrolière mal gérée est devenue un facteur de dépendance, de désindustrialisation et de vulnérabilité.
La vraie garantie d’une monnaie : les fondamentaux macroéconomiques
La valeur d’une monnaie aujourd’hui ne se mesure plus à ce qu’il y a dans le sous-sol, mais à ce que le pays produit, transforme et échange durablement. Trois facteurs déterminent la force d’une monnaie :
– la balance des paiements : une monnaie s’apprécie quand le pays exporte plus qu’il n’importe et attire des capitaux stables.
– la crédibilité des politiques économiques : une banque centrale indépendante, une discipline budgétaire rigoureuse et une inflation maîtrisée sont les piliers d’une monnaie stable.
– la compétitivité structurelle : ce sont les biens et services produits localement, vendus au monde, qui garantissent une vraie souveraineté monétaire.
Sans cela, même une montagne d’or ou un océan de pétrole ne suffira à éviter la dépréciation, la fuite des capitaux et la perte de confiance.
L’Afrique face à elle-même : transformer au lieu de fantasmer
Le véritable enjeu pour l’Afrique n’est pas de revenir à une monnaie adossée à l’or – ce qui serait une régression historique – mais de bâtir une monnaie qui repose sur :
– des institutions solides, capables de gérer l’économie avec transparence et efficacité.
– une base productive locale, avec des chaînes de valeur intégrées et une capacité à exporter autre chose que des ressources brutes.
– une intégration régionale plus profonde, pour créer des marchés internes capables de réduire la dépendance aux importations.
À cet égard, il faut rappeler l’impérieuse nécessité de l’intégration économique et politique du continent, conformément à l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui prévoit à terme la création d’une monnaie unique africaine. Cette ambition, si elle est portée avec sérieux et coordination, peut renforcer la souveraineté monétaire collective du continent tout en assurant une stabilité macroéconomique durable.
Conclusion : de la matière première à la matière grise
Les ressources naturelles ne sont qu’un point de départ, pas une solution miracle. L’avenir économique et monétaire de l’Afrique ne repose pas dans ses mines ou puits de matières premières, mais dans sa gouvernance, ses choix budgétaires, son capital humain et sa capacité d’innovation.
Il faut en finir avec les discours magiques qui prétendent que l’or ou le pétrole suffiront à garantir une monnaie forte. Ce qu’il faut garantir avant tout, c’est une politique économique sérieuse, une infrastructure financière crédible et une vision stratégique du développement.
Pr Amath NDIAYE
FASEG-UCAD