Dès son investiture en janvier 2025, l’administration Trump, fraîchement revenue au pouvoir, annonce la suspension de plus de 90 % des contrats de l’USAID, soit une coupe estimée à environ 60 milliards de dollars d’aide étrangère selon le Washington Post.
Cette décision, prise dans un contexte de recentrage des priorités diplomatiques et de réorganisation de la coopération internationale américaine, a mis à nu une réalité profondément préoccupante, celle de la dépendance chronique des pays membres de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) à l’aide extérieure.
Plus qu’un simple retrait de soutien financier, cette décision a agi comme un électrochoc, révélant la fragilité structurelle de ses États membres dont les politiques sociales dépendent, encore largement, de financements extérieurs. Elle appelle aujourd’hui à une mobilisation urgente autour de mécanismes endogènes, en particulier ceux offerts par la tradition islamique, telle que la Zakat et le Waqf, longtemps marginalisés dans les stratégies de développement.
Jusqu’en 2024, l’aide publique au développement (APD) représentait une part significative des budgets sociaux de plusieurs pays musulmans. Le Yémen, la Somalie, l’Afghanistan, mais aussi des pays d’Afrique subsaharienne comme le Niger ou le Tchad, dépendaient à plus de 30 % de financements étrangers pour leurs programmes de santé, d’éducation et de sécurité alimentaire. L’administration Trump a justifié cette coupe par des arguments de souveraineté budgétaire et de lutte contre les gaspillages. Mais les répercussions ont été immédiates : interruption de traitements contre le VIH/SIDA, arrêt de programmes nutritionnels pour enfants, suspension de projets d’accès à l’eau potable, pour ne citer que quelques exemples.
Pour les pays de l’OCI, une telle dépendance constitue désormais une menace directe pour leur stabilité sociale.
Et pourtant, l’Islam offre deux instruments puissants de justice sociale et de résilience économique : la Zakat et le Waqf.
La Zakat, troisième pilier de l’Islam, représente un potentiel annuel estimé entre 200 et 300 milliards de dollars dans les pays de l’OCI selon le rapport 2022 sur la finance sociale Islamique. Pourtant, moins de 5 % de cette somme est collectée à travers des structures officielles. Le Waqf, une fondation pieuse au service du bien commun, pourrait représenter plus de 1 000 milliards de dollars d’actifs dormants. Mais leur potentiel reste largement inexploité : seuls 14 des 57 États membres de l’OCI disposent aujourd’hui d’un système institutionnel actif de collecte de la Zakat. Et selon les estimations de la Banque Islamique de Développement, si seulement 20 % de la Zakat potentielle dans ces pays étaient collectés de manière organisée, cela permettrait de financer les besoins de base de plus de 100 millions de personnes.
Dans ce contexte, le cas du Sénégal est particulièrement révélateur. Pays à majorité musulmane (environ 95 %), le Sénégal a fait un pas important avec l’adoption, en 2015, de la loi n°2015-11 relative au Waqf et la création, en 2016, de la Haute Autorité du Waqf (HAW). Cette avancée juridique et institutionnelle a permis de lancer quelques projets pilotes, bien que l’écosystème reste encore en phase de structuration. En revanche, la Zakat n’a pas connu le même traitement. En dehors de l’article 55 du Code général des impôts, qui en reconnaît le principe sous forme de don déductible dans certaines conditions, il n’existe à ce jour aucun cadre national de collecte, de gestion ni de redistribution. Pourtant, les estimations locales évaluent le potentiel de la Zakat au Sénégal à plus de 500 milliards de francs CFA par an, un volume supérieur au budget de plusieurs ministères réunis.
Le contexte mondial actuel impose une refondation stratégique. Pour le Sénégal, l’institutionnalisation de la Zakat représente une opportunité majeure de bâtir un modèle de développement autonome, éthique et durable. Un tel modèle pourrait être adossé aux valeurs islamiques à travers un cadre de gestion éthique et communautaire ; aligné avec les Objectifs de Développement Durable (notamment les cibles 1.3 sur la protection sociale, 8.3 sur l’emploi productif et 10.2 sur la réduction des inégalités) ; et autonome vis-à-vis des aléas de l’aide internationale, grâce à un financement domestique, prévisible et solidaire.
La création d’une autorité nationale dédiée à la Zakat, avec un statut indépendant mais reconnu par l’État, permettrait de canaliser ces ressources vers des priorités sociales telles que la santé communautaire, l’entrepreneuriat des jeunes, ou la réinsertion économique. Le numérique et les technologies financières pourraient par ailleurs offrir des outils de traçabilité et d’optimisation de la collecte.
Face à une aide internationale de plus en plus incertaine, l’heure n’est plus à l’attentisme mais à la responsabilité. L’arrêt brutal de l’aide américaine en 2025 ne doit pas seulement être lu comme un désengagement d’une puissance étrangère, mais comme un révélateur d’un vide institutionnel que les pays de l’OCI ne peuvent plus se permettre d’ignorer. La dépendance chronique à des financements extérieurs expose leur souveraineté sociale à des décisions unilatérales, souvent déconnectées de leurs réalités et priorités.
Il est temps de regarder en direction des ressources internes, des valeurs fondatrices et des mécanismes éprouvés de solidarité que l’Islam a légués : la Zakat et le Waqf.
Ces deux piliers, s’ils sont institutionnalisés, modernisés et intégrés à la politique publique, ont la capacité de financer durablement la protection sociale, de soutenir les entrepreneurs, et de renforcer la cohésion nationale autour d’une éthique de justice et de partage.
Le Sénégal, en particulier, possède tous les atouts pour devenir un modèle régional. Il lui suffit de traduire la volonté politique en cadre opérationnel, en dotant la Zakat d’un statut légal, d’une gouvernance efficace et d’une ambition sociale à la hauteur de son potentiel. Ce serait là bien plus qu’une réforme technique mais un véritable acte de souveraineté, de foi et de responsabilité collective.
Abdoulaye LAM
Consultant Chercheur en Finance Islamique
Président Directeur General du Cabinet Global Islamic Finance & Transactions (GIFT)