Le Plan de Redressement Économique et Social (PRES) 2025-2028 présenté par le premier ministre nous offre l’occasion d’ouvrir un débat sur les fondements, les objectifs et les perspectives de redressement de notre économie. Pour mieux apprécier les enjeux du PRES, il convient, par devoir de mémoire, de revenir succinctement sur les différents pans de redressement économique qui ont jalonné l’histoire du Sénégal.
En pleine période de sécheresses, de chocs pétroliers et de dégradation des finances publiques, le Sénégal avait lancé un Programme de Redressement Économique et Financier (PREF) 1980-1985 adossé aux Plans de Développement Économique et Social (PDES) pour bénéficier des lignes de prêts dédiées aux ajustements structurels. Imposé par le FMI et BM, le PREF visait la stabilisation des finances publiques, l’augmentation de l’épargne nationale, l’optimisation des investissements et un désengagement progressif de l’État dans l’économie. Sa mise en œuvre reposait sur un triptyque de mesures : assainissement (fermeture des ambassades et représentations consulaires, réduction du parc automobile de l’État et réduction des subventions aux denrées de première nécessité), incitations à l’épargne et à l’investissement (élévation des taux d’intérêts) et désengagement étatique (introduction des contrats de performance et dissolution de certaines structures).
En dépit des sacrifices consentis, les institutions de Bretton Woods n’ont pas jugé satisfaisants les résultats du PREF, obligeant le Sénégal à adopter un Plan d’Ajustement à Moyen et Long Terme (PAMLT) 1985-1992 arrimé au Plan d’Orientation pour le Développement Économique et Social (PODES). Ce plan était axé sur la restructuration du secteur parapublic (vente des parts de l’État dans des sociétés publiques, dissolution d’autres structures et réduction prolongée des subventions), le redressement des finances publiques (gel des recrutements et hausse de certaines charges fiscales) et un plan de relance économique (nouvelles politiques agricoles et industrielles).
Là encore, les déséquilibres se sont creusés, conduisant à l’accumulation des arriérés de paiements et à une aggravation du déficit budgétaire. Le Plan d’urgence Sakho-Loum (1992-1995) fut le dernier plan de redressement élaboré pour restaurer les finances publiques et rétablir les avoirs extérieurs.
Installées en avril 2024, les nouvelles autorités ont élaboré en octobre de la même année l’Agenda National de Transformation (ANT), Vision 2050, décliné à travers un Master Plan 2025-2034, une Stratégie Nationale de Développement (SND) 2025-2029 et des Lettres de Politiques Sectorielles (LPS). En février 2025, la certification du rapport d’audit sur les finances publiques par la Cour des comptes a révélé des niveaux de déficit et d’endettement plus élevés que ceux consignés dans les travaux de l’Inspection Générale Financière (IGF). Cette situation a entraîné la suspension du programme avec le FMI. Ce dernier a demandé à l’État du Sénégal de clarifier les fausses déclarations et d’apporter des mesures correctives afin de parvenir à un nouveau programme avec décaissement. Ainsi, le gouvernement a engagé le cabinet Forvis Mazars, qui a terminé son audit préliminaire. C’est dans ce contexte que naît le PRES « Jubbanti Koom » 2025-2028.
Ce plan repose sur 37 mesures avec pour ambition de mobiliser 5 667 milliards de FCFA de ressources additionnelles, retrouver les équilibres budgétaires et stimuler la croissance économique. Bien que les détails complets ne soient pas encore disponibles, nous saluons la décision d’inclure un plan de relance économique. Nous encourageons cependant le gouvernement à publier dans les plus brefs délais une version exhaustive du PRES, incluant le cadre méthodologique et les projections budgétaires annualisées, nécessaires à toute évaluation rigoureuse.
L’une des mesures les plus salutaires à nos yeux demeure la rénovation des procédures d’exécution budgétaire, matérialisée par l’introduction de la budgétisation à base zéro dès 2026, conformément à l’instruction primatorale 00754/PM/CAB/DC. La budgétisation à zéro vise à rompre avec les pratiques budgétaires routinières de la bureaucratie et à exiger une justification rigoureuse de l’efficience de chaque dépense. De plus, l’élargissement de l’assiette fiscale au secteur numérique constitue une avancée notable. Elle est d’autant plus pertinente que notre pays peine encore à atteindre l’objectif de pression fiscale de 20 % du PIB fixé par l’UEMOA. Par ailleurs, nous nous félicitons de l’intention des autorités de recourir au capital-investissement (equity) pour financer l’économie nationale. Dans une entrevue accordée au mensuel LE MARCHÉ en novembre 2024, nous avions plaidé pour que l’IPRES, le FONSIS, la BNDE et la CDC conjuguent leurs efforts pour créer un puissant fonds de placement stratégique. Un tel levier pourrait financer des projets à forte valeur ajoutée et générer des retours sur investissement considérables. Dès lors, les
nouvelles autorités doivent donc finaliser au plus vite les deux projets de loi relatifs à la souveraineté économique et à la doctrine de financement de l’économie nationale, évoqués en Conseil des ministres respectivement les 26 juin et 16 octobre 2024.
Toutefois, certaines mesures, bien que pertinentes, nécessitent des clarifications. Il s’agit notamment celles relatives à la baisse des prix des denrées, à l’apurement de la dette intérieure, à la centralisation des achats publics, à l’ouverture des marchés publics au secteur privé et à l’analyse de la dette odieuse. D’autres, comme la taxation des paris en ligne, doivent être renforcées. Cette mesure, au-delà des retombées fiscales, est un instrument de santé publique. L’addiction aux paris sportifs, reconnue comme un problème de santé mentale par l’OMS, se répand dans notre jeunesse. Malgré les contrôles dans les kiosques pour vérifier l’âge des joueurs (18 ans minimum), les mineurs contournent la réglementation en passant par les applications mobiles de paris en ligne, moins surveillées, ce qui contribue, dans certaines zones, à l’augmentation du décrochage scolaire et à la recrudescence du banditisme. À cela s’ajoutent les stratégies marketing des opérateurs de paris en ligne, qui ciblent délibérément la jeunesse en recrutant des influenceurs et célébrités pour des campagnes agressives et en sponsorisant massivement des événements, exacerbant ainsi l’addiction des jeunes. De ce fait, au-delà de la taxation, il est urgent de renforcer le cadre légal des paris en ligne, en s’inspirant de pays comme la France, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, où les publicités pour les jeux d’argent sont strictement encadrées pour limiter leur impact sur les jeunes. Concernant l’assouplissement de la limitation d’âge des véhicules importés, nous estimons qu’une telle mesure ne pourra être pertinente qu’après une décongestion effective de Dakar et la mise en œuvre des pôles régionaux de développement, afin de pallier les coûts économiques des embouteillages et les impacts environnementaux de la pollution.
Nous appelons également à une réflexion structurelle sur la mesure concernant la taille de l’État. La réduction du nombre d’agences ne saurait suffire. Il s’agit de procéder à une refondation (et non à une réforme) profonde de l’État, en rompant avec le modèle hérité du colonialisme pour construire un État adapté à nos réalités et ambitions. Cette refondation ne doit pas se limiter au pouvoir exécutif, mais s’étendre aux autres pouvoirs, à savoir le judiciaire et le législatif. Il est légitime de s’interroger, par exemple, sur la pertinence d’une Assemblée nationale à 165 députés dans un pays à niveau de développement humain faible en quête de rationalisation des dépenses. En outre, il serait pertinent d’approfondir la réflexion sur la renégociation des contrats stratégiques. Bien que cette démarche soit salutaire, elle devrait être confrontée, dans certains secteurs comme l’exploitation aurifère, à l’option d’une nationalisation progressive, si celle-ci garantit à long terme une meilleure rentabilité pour l’État et une souveraineté économique accrue.
En effet, un gouvernement de souveraineté ne doit pas se contenter systématiquement de la renégociation mais doit explorer toutes les options qui se présentent pour l’intérêt supérieur de la nation. Cependant, nous relevons une limite majeure du PRES : la volonté de ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB d’ici 2027, ce qui implique une réduction des investissements publics surtout ceux financés sur ressources internes (baisse de 33 % en 2026 et 27 % en 2027 si les projections du DPBEP 2026-2028 sont maintenues). Une telle orientation, conforme aux critères de convergence de l’UEMOA, nous semble contreproductive dans le contexte sénégalais. L’investissement public reste un levier incontournable de relance économique, grâce à son effet multiplicateur sur la production et la consommation. Nous tenons à rappeler que les critères de convergence de l’UEMOA s’inspirent des critères de Maastricht de l’Union européenne.
D’ailleurs, cette dernière se retrouve face à des États membres, autrefois modèles de rigueur budgétaire, qui assument désormais des déficits prolongés pour soutenir leur économie. L’Allemagne, pour ne citer qu’elle, a lancé un plan d’investissement massif qui rompt avec l’orthodoxie budgétaire d’ici 2029. Les autorités sénégalaises doivent éviter donc de restaurer à tout prix l’équilibre budgétaire d’ici 2027, au risque d’asphyxier l’économie et de différer indûment le soulagement des populations. Il est également regrettable que le volet monétaire soit absent du PRES. Or, l’efficacité d’un plan de redressement économique requiert impérativement l’articulation avec une politique monétaire adéquate, constituant ainsi un policy mix cohérent. Selon le gouvernement, des discussions seraient en cours dans le cadre de l’UEMOA sur des réformes monétaires favorables aux États membres. Il nous paraît donc essentiel que les autorités sénégalaises informent le public sur l’avancée de ces négociations, au regard des récents développements géopolitiques au sein de l’UEMOA. La question de l’avenir du Sénégal dans la zone FCFA, voire la sortie de cette dernière, mérite d’être posée de manière claire, méthodique et stratégique.
Le Jubbanti Koom 2025-2028 constitue une réponse à moyen terme à la crise multidimensionnelle actuelle. Cette ambition nécessite une transformation profonde du modèle économique hérité, un élargissement de notre souveraineté dans des domaines clés ainsi qu’une refonte de la structure de l’État. En définitive, le défi majeur de tout plan de redressement économique et social réside dans sa mise en œuvre effective, qui exige à la fois une volonté politique ferme, des capacités institutionnelles adaptées et l’adhésion des acteurs concernés.
El Hadji Abdoulaye Seck
Économiste-chercheur à l’école nationale d’administration publique du Québec.