La diplomatie transactionnelle est le nouveau modèle que le président américain adresse au monde. Une politique internationale clairement orientée vers le rapport coût/bénéfice. Dès son installation, Donald Trump a estimé que le reste de la planète exploitait son pays et, désormais, qu’il s’agisse de protection militaire ou de relations commerciales, « America First » sera la norme.
Depuis, la manière dont l’administration Trump s’est signalée à nous, Africains, contraste avec les égards relatifs accordés hier à cinq chefs d’État africains, dont le président Bassirou Diomaye Faye, à la Maison-Blanche. Ambiance ? Peu ont apprécié de l’entendre demander à un président d’un pays voisin de réduire son temps de parole, après avoir suggéré à ses hôtes de décliner leur identité et le pays qu’ils dirigent. Pas de clash ou de propos comminatoires comme avec l’Ukrainien Volodymyr Zelensky ou le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, mais un Donald Trump respectant les bienséances protocolaires, même s’il n’a pu s’empêcher d’émettre un commentaire peu inspiré sur l’âge de son hôte sénégalais – qu’il compensera toutefois par un témoignage sur son « travail fantastique », enrobé de félicitations pour avoir « tenu bon » face à l’adversité politique.
Pour sa part, le chef de l’État a présenté le Sénégal comme « un pôle de stabilité », avant de saluer les engagements de Donald Trump « pour la paix dans le monde », notamment en République démocratique du Congo, où il a obtenu, selon lui, « un succès diplomatique majeur ». Il lui a ensuite présenté deux projets stratégiques pour renforcer la coopération avec les États-Unis. Le premier concerne une collaboration pour évaluer et exploiter le potentiel minier du Sénégal. Le second vise la création d’une zone numérique de 40 hectares en bord de mer à Dakar, destinée à accueillir des entreprises technologiques américaines. Non sans lui suggérer d’investir dans la création d’un club de golf au Sénégal. Un «swing» diplomatique opportunément ajusté pour rester dans l’imaginaire du président américain… On ne décline pas une invitation à la Maison-Blanche, à moins d’être le Nelson Mandela de 2002 remonté contre la guerre en Irak. Quand le 47e président des États-Unis d’Amérique s’intéresse à des pays peu connus pour leur poids économique, c’est que de lourds intérêts sont en jeu.
C’est surtout qu’il a besoin de ses interlocuteurs – précisément de quelque bien dont ils disposent. Interrogé il y a quatre jours par la Deutsche Welle, le professeur Souleymane Bachir Diagne s’est d’abord souvenu « des propos peu amènes » que Donald Trump avait tenus lors de son premier mandat à l’égard des pays africains, avant de rappeler que « l’Afrique est désormais dans le radar de l’administration Trump. Le continent est reconnu comme un endroit où l’on peut faire des affaires ». Business donc. Mais aussi sécurité, lutte contre les trafics et contrôle des flux migratoires. Les cinq pays invités disposent de ressources naturelles convoitées : gaz, pétrole, or, terres rares, phosphates… mais ils partagent aussi une façade atlantique stratégique. Tous sont en prise directe avec les routes migratoires vers les Amériques et les nouveaux circuits du narcotrafic. Dakar est la porte de l’Atlantique Sud, face aux Caraïbes. LOGIQUE MARCHANDE L’Afrique de l’Ouest a vu, ces dernières années – notamment en 2023 et 2024 – des flux importants de migrants clandestins tenter de rejoindre les États-Unis via le Nicaragua et la frontière mexicaine. En parallèle, la région est également touchée par une montée inquiétante du trafic de drogue, un sujet qui préoccupe fortement les autorités américaines.
Au point d’y installer une antenne très active de la Dea (police fédérale antidrogue), opérant entre le Sénégal, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. Les contrastes entre les actes posés par Donald Trump depuis son retour au pouvoir et la rencontre hexapartite d’hier se voient à l’évocation de la fin de l’Usaid, de celle, prévue en septembre, de l’Agoa, de la hausse des droits douaniers, du récent refus de délivrer des visas aux « Lionnes » du basket, ou encore du discours unilatéral du locataire de la Maison-Blanche. Au plan international, nous sommes contemporains de la fin d’une certaine idée de l’Amérique : celle, victorieuse du communisme, forte et généreuse, porteuse de liberté et de démocratie, celle du Peace Corps et de la lutte contre le VIH en Afrique. Aujourd’hui, le président des États-Unis évoque la possibilité d’annexer le Groenland, envisage de s’approprier (encore plus) le canal de Panama, engage une guerre commerciale avec la Chine, remet en cause le financement de l’Otan…
Localement, c’en est fini du traitement préférentiel dont bénéficiaient nos systèmes sanitaire et éducatif, avec un manque à gagner net d’environ 80 milliards de FCFA par an pour le Sénégal. On se souvient de Bill Clinton, en 1999, à Dal Diam près de Thiès, se félicitant de la coopération de son pays avec le nôtre. On n’oublie pas non plus George W. Bush à Gorée, ni la flamboyance symbolique d’un Obama venu nous dire que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes ». Cette fois-ci, on doit composer avec un homme d’État disruptif, porté sur le rapport de force commercial. Lui parler sereinement est déjà un point de gagné dans une partie mondiale où les règles du jeu échappent souvent aux moins nantis.