La réforme des marchés publics est née des négociations internationales sur l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC) entre 1986 et 1994, connues sous l’appellation du cycle d’Uruguay ou d’Uruguay Round. Il constitue le dernier et le plus important des cycles de négociations de l’AGETAC. L’avènement de l’internet intervenu officiellement en 1983 dans la même période est sans doute la raison de ce chamboulement à l’international initié par les pays développés.
L’accord de Marrakech signé en avril 1994 consacre l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’accord détermine le mode de fonctionnement de l’OMC. Il comprend par ailleurs différentes annexes qui définissent les grandes règlementations en matière de commerce international et les modalités de règlement des différends commerciaux.
Dans cet accord, il est prévu à l’annexe 4b l’accord sur les marches publics (AMP) ou accord plurilatéral sur les marchés publics (MP) qui est un accord international supervisé par l’OMC visant à ouvrir les marchés publics aux entreprises des autres Etats signataires, sans discrimination, de manière transparente et ouverte.
La première mouture de l’AMP est signée en 1979, avant d’entrer en application en 1981. Il est renégocié en 1994 dans le cadre de la création de l’OMC. Cette version renégociée entre en vigueur le 1ier janvier 1996. En mars 2012, une nouvelle révision de cet accord est signée. Le 06 avril 2014, elle entre en vigueur.
En décembre 1996, à la Conférence ministérielle de Singapour, les discussions portant sur le programme de travail de l’OMC tournées autour de quatre (4) questions à savoir : 1. Commerce et investissement, 2. Commerce et politique de la concurrence, 3. Transparence des marchés publics et 4. Facilitation des échanges.
Le groupe de travail multilatéral sur la Transparence des marchés établi par la conférence ministérielle de Singapour était mandaté en vue de réaliser une étude sur la transparence des pratiques des marchés publics en tenant compte des politiques nationales.
Il s’en est suivi la conférence d’Abidjan tenu du 30 novembre au 04 décembre 1998, où des décisions importantes ont été prises :
· Précision des défis et des opportunités que recèle l’important domaine des marchés publics.
· Définition d’un consensus sur une stratégie de réforme des marchés publics.
· L’appel à l’engagement des responsables au plus haut niveau de l’Etat en faveur du processus de réforme pour soutenir les changements juridiques, organisationnels et institutionnels requis.
· L’ouverture d’un dialogue sur la passation des marchés publics en vue d’améliorer la gestion des ressources publiques.
A cette occasion Omar Kabbaj président de la Banque Africaine de Développement (BAD), a tenu le propos fort révélateur de l’importance d’une bonne gouvernance des finances publiques : « En Afrique, le volume total des marchés passés chaque année se monte à plus de 50 milliards de dollars. Une amélioration de la compétitivité de 10% dans l’attribution des marchés publics générerait des économies substantielles équivalentes aux engagements annuels cumulés du Fonds africain de développement et de l’Agence internationale de développement. L’amélioration de la compétitivité témoignerait également de la capacité des administrations africaines de traiter avec les entreprises compétentes choisies sur des critères
strictement professionnels et concurrentiels. Elle témoignerait en outre de la volonté des Etats de faire le meilleur usage possible des ressources publiques, et, en dernière analyse, de développer la culture de la bonne gouvernance. »
Steven Weismann, Directeur de l ’appui aux opérations région Afrique de la Banque Mondiale (BM) à cette époque, fera l’évolution de la passation des marchés publics dans les pays développés, depuis les débuts jusqu’à l’appel à la concurrence. « Cet aboutissement, selon lui, a été rendu possible par les avancées démocratiques et politiques réalisées dans les pays, et sa mise œuvre passe par l’institutionnalisation de mécanismes de contrôle basés sur des directives strictes et des régulateurs et contrepoids appropriés.
Il avait recommandé que les pays en voie de développement devraient suivre la même voie, qui, par une amélioration progressive de la gestion de la passation des marchés favorise l’efficience dans la gestion financière.
Il avait ajouté, en outre, que la réforme de la passation des marchés devrait être de la responsabilité première des gouvernants.
Aussi, il avait estimé, que les investissements nationaux ne pourront être efficaces par rapport aux coûts que si les dépenses sont effectuées en fonction des priorités économiques et limitées par des objectifs financiers réalistes. La bonne gestion de la passation des marchés joue un rôle déterminant dans la réalisation d’investissement efficients. Il est un fait bien connu que l’inefficacité, la fraude et le vol entrainent pour les dépenses publiques des pertes énormes, équivalentes à plusieurs points de pourcentage du PIB. C’est ce qui fait que les administrations nationales, confrontées à des pressions budgétaires croissantes et contraintes d’adopter des réformes sectorielles pour la survie économique de leur pays, éprouvent la nécessité incontournable d’appliquer des procédures économiques et efficientes en passation des marches. »
A l’issue de cette Conférence, les Etats membres de l’UEMOA ont été invités à engager des réformes de leurs systèmes de passation des marchés publics en vue de mettre en œuvre les principes de bonne gestion des finances publiques, celle-ci étant à la fois une condition indispensable à la stabilité macroéconomique et un élément essentiel de la bonne gouvernance ». Ainsi pour marquer leur adhésion à cette vision essentielle, le Conseil des Ministres de l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a adopté en juin 2000 un
« Code de transparence dans la gestion des finances publiques », sur instruction de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UEMOA. Aussi à l’annexe de la Directive N° 02/2000/CM/UEMOA 1 portant adoption du code de transparence dans la gestion des finances publiques, il est rappelé que : « S’agissant plus particulièrement des procédures de passation des marchés publics, les Etats membres s’efforceront de passer et faire exécuter les marchés publics dans de bonnes conditions d’économie, de transparence et d’efficacité, en donnant à tous les soumissionnaires répondant aux critères de sélection, la possibilité de concourir, et en encourageant la participation des entrepreneurs, fabricants et consultants ressortissants de l’Union. »
Il est important de souligner l’importance de la commande publique dans la gestion des finances publiques, l’évaluation des systèmes de passation des marchés des Etats membres de l’UEMOA réalisée entre 2002 et 2005 va révéler que la commande publique représente la moitié des dépenses publiques qui correspond environ à 20% du PIB des Etats membres.
A ce titre, pour dégager une épargne budgétaire, il est capital de maîtriser la commande publique et d’instaurer une bonne gouvernance des finances publiques.
A l’époque, l’évaluation des systèmes de passation nationaux (avant réforme) avait fait état d’une situation alarmante à savoir que la lourdeur des procédures entraînant de longs délais de passation des marchés conduisait les administrations à ne pas respecter le jeu de la concurrence. La conséquence s’est le recours systématique à la conclusion des marchés par entente direct ou gré à gré, dont le niveau avait atteint 20% de la commande publique. Ce qui ne permettait pas aux pays de réaliser des économies.
« Ainsi, les systèmes de passation des marchés publics conduisaient à :
i) un niveau de coûts de marchés acquis plus élevés, à travers les systèmes nationaux de passation de marchés publics;
ii) un niveau élevé de plaintes et l’absence dans la plupart des pays d’organes de recours indépendants dont la saisine est de nature à suspendre le processus de passation pour connaître des violations potentielles des règles à ce stade de la procédure ; et
iii) des longs délais de passation de marchés caractérisés par un recours excessif et peu encadrés d’avenants. Au niveau des dispositifs institutionnels, l’absence d’intégration entre la gestion budgétaire et l’initiative de lancement de la procédure d’appel d’offres était une cause majeure de retard d’exécution des dépenses publiques. »
Par ailleurs, le rapport a fait état de la situation institutionnelle en matière de passation des marchés avant la réforme en ces termes : « L’organisation institutionnelle du secteur des marchés publics dans les Etats membres de l’UEMOA ne favorise pas la transparence car les missions d’exécution, de contrôle et de régulation sont souvent confiées à la même administration qui est généralement sous tutelle et qui, de surcroit reçoit les soumissions, les évalue et adjuge les marchés. Cette situation est souvent à l’origine d’actes de fraude et/ou de corruption. Il est donc important de dissocier les fonctions de gestion administrative des soumissions de celles d’adjudication de la commande publique.
En somme, l’évaluation des systèmes de passation des marchés de 2002 à 2005 a permis de réaliser des études et surtout l’adoption par le Conseil des Ministres de l’UEMOA le 09 décembre 2005 de la réglementation communautaire, constituée de deux directives suivantes :
(i) La Directive N°04/2005/CM/UEMOA portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public dans l’UEMOA ;
(ii) La Directive N°05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public dans l’UEMOA.
Les directives sont entrées en vigueur le 1er janvier 2006. Les Etats membres (EM) ont eu deux ans pour les transposer dans leur dispositif juridique interne, dans le respect des grands principes qui gouvernent la commande publique : (I)la liberté d’accès à la commande publique ; (II) l’égalité de traitement des soumissionnaires ; (III) la transparence des procédures ; (IV) l’efficacité de la dépense publique.
Avec l’internalisation des directives 04 et 05, le Sénégal a entamé en 2007 une réforme du système national de passation et de gestion des marchés publics.
La réforme et l’édition du Code de 2007 consacre les innovations institutionnelles suivantes :
• Création de l’Autorité de Régulation de la Commande publique (ARCOP ex ARMP) et de la Direction centrale des Marchés publics (DCMP) ;
• Séparation de la fonction du CONTRÔLE et de la REGULATION ;
• A côté de la Personne Responsable du Marché ; Création de la cellule de passation de marchés et de la commission des marchés au sein de l’Autorité Contractante ;
• Séparation des rôles de préparation des Dossiers d’appel d’offres, du contrôle qualité et de l’évaluation des offres ;
• Reconnaissance de trois acteurs ou parties prenantes de la commande publique : secteur privé, société civile et l’administration.
Dans la pratique, les différents régimes passés ont procédé à des retouches et/ou amendements à la règlementation des marchés publics. Pour certaines s’étaient justifiées lorsqu’elles permettaient l’amélioration et l’adaptation de la réglementation dans le souci de l’efficacité de la dépense publique. Pour d’autres, ces retouches ou des fois des suggestions à la réglementation ne se justifiaient pas et ont constitué de véritables mesures de mauvaise gouvernance des finances publiques.
Ainsi le Code des marches publiques du Sénégal a connu l’évolution suivante :
⯈Edition d’un Code des Marchés publics (CMP) de la réforme, Décret n° 2007-545 du 25 avril 2007, aligné sur les standards internationaux, novateur et source de satisfaction.
Il est important de souligner ici que l’édition du premier (1ier) Code de la réforme des marchés publics a été possible grâce à un comité tripartite : administration publique, secteur privé et société civile, chargé de la Coordination et du suivi de la réforme. En effet ce Comité tripartite est le cadre formel de réflexion sur toutes les questions relatives à la réforme des marchés publics (MP). Il joue également un rôle important dans l’appropriation et la pérennisation. En somme, le code des MP est un code consensuel.
⯈Décret modificatif n° 2010-1188 du 13 septembre 2010
⯈Décret modificatif n°2011-04 du 06 janvier 2011
⯈Décret n°2011-1048 du 27 juillet 2011 portant code des marchés publics
Il y a lieu de se souvenir que le Décret n°2011-1048 du 27 juillet 2011 portant code des marchés publics était un code de référence c’est-à-dire qu’il respectait à tous points de vue les standards internationaux. C’est pourquoi avant la réforme de 2014, les partenaires techniques et financiers notamment la Banque mondiale et la Banque africaine de développement étaient prêts à l’adopter comme Code de référence. Malheureusement, la réforme de 2014 a sonné une reculade de leur part et un retour à leurs directives et l’instauration de la double revue et aujourd’hui la Banque mondiale a même mis en place son propre système de gestion des recours et de règlement des litiges.
⯈Décret 2014-1212 du 22 septembre 2014.
⯈Et aujourd’hui Décret 2022-2295 DU 28 décembre 2022.
Ce dernier a introduit des innovations significatives dans la règlementation pour autant certaines d’entre elles constituent des régressions notoires dans la bonne gouvernance des finances publiques et le caractère consensuel du Code des marchés publics (CMP).
Le CMP de 2022 a le mérite d’avoir innové sur les points suivants, entre autres :
• Elargissement du champ d’application du CMP aux Institutions constitutionnelles et les institutions de prévoyances sociales.
• Prise en compte des questions de développement durable : des achats publics durables, des achats responsables.
• Introduction de l’économie sociale et solidaire et de l’entreprenariat des groupes vulnérables (femmes, jeunes, personnes vivant avec un handicap).
Toutefois dans la pratique, notre dispositif de passation des marchés connait des insuffisances qu’il est important de relever et d’y remédier pour le revigorer :
A. De la situation des cellules de passation des marchés (CPM) ou de l’intérêt de la professionnalisation des métiers de la commande publique :
L’art. 35 du code de MP stipule qu’: « au niveau de chaque autorité contractante, sont mises en place une commission des marchés chargée de l’ouverture des plis, de l’évaluation des offres ou propositions et de l’attribution provisoire des marchés ainsi qu’une cellule de passation des marchés chargée de veiller à la qualité des dossiers de passation des marchés ainsi qu’au bon fonctionnement de la commission des marchés ».
La qualité des dossiers de marchés renvoie à la conformité aux exigences de la réglementation de la Commande publique en matière de spécifications techniques ou termes de référence relatif à l’objet du marché ou en matière de qualification c’est-à-dire les critères liés au soumissionnaire.
C’est une des innovations de la réforme pour faire barrage au pouvoir de l’autorité contractante sur la passation des marchés. Mais le coordinateur de la cellule de passation des marchés est très vulnérable. En effet lorsque dans l’exercice de ses fonctions, il lui arrive de s’opposer à une éventuelle mauvaise pratique dans une procédure de passation d’un MP initiée par l’autorité contractante ou de conseiller à respecter la règlementation lorsque l’on tente de passer outre cette derniére. Certaines personnes responsables des marchés (PRM), qui refusent le changement, peuvent décider, à tout moment, de le remplacer par un autre agent, peu importe à ce qu’il soit un novice ou un spécialiste dans la passation des marchés. En effet le coordinateur de la CPM est nommé par l’autorité contractante par arrêté parmi les agents de l’organe administratif en conformité avec la règlementation.
Aujourd’hui, pour rendre efficace son rôle et stabilisé le service de la CPM, il y a lieu de revoir son encrage institutionnel et / ou sa stabilité temporelle. En guise d’illustration, le débat au sein du réseau des coordinateurs des CPM est de rattacher le coordinateur à la Direction centrale des MP (DCMP), qu’il soit lié à la DCMP c’est-à-dire affecté par la DCMP au sein de l’organe administratif. Ce qui exprime leur désarroi face à leur vulnérabilité et la difficulté a exercé leur fonction. Le rôle et la responsabilité du coordinateur de la CPM, outre ceux règlementaires, sont déjà définis dans la charte de compétence des métiers de la Commande publique.
Cette dernière est un programme de professionnalisation innovant des acheteurs publics disponible auprès de l’ARCOP. En effet, l’ARCOP avait développé en 2016, une nouvelle offre de formation basée sur l’Approche par compétences (APC) avec des programmes de formation adaptés aux besoins des acheteurs publics. Ainsi, l’approche étant globale, l’occasion a permis de viser les objectifs spécifiques suivants :
D’identifier tous les métiers liés à la passation des marchés publics dans le cadre de la réforme actuelle ;
D’établir le portrait de chaque métier identifié ;
D’élaborer un référentiel (une charte) de compétences, pour chaque métier de la passation des marchés publics ;
ü D’élaborer un référentiel de formation pour chaque métier de la passation des marchés publics ;
ü D’élaborer un référentiel de certification pour chaque métier de la passation des marchés publics.
La cartographie des métiers a été réalisée à l’issue d’un atelier regroupant les différentes parties prenantes de la passation de marchés publics : CPM, formateurs, SPM, DCMP, ARMP, secteur privé, société civile, autorité contractante et animé par un spécialiste en facilitation. Les discussions ont été organisées autour d’une question focale pour identifier les différents métiers qui sont pratiqués en passation de marchés.
Les métiers de la passation des marchés publics retenus lors de l’atelier d’élaboration de la cartographie :
1. Contrôleur de la Passation des marchés.
2. Inspecteur de la Passation des marchés publics.
3. Vérificateur de la Passation des marchés.
4. Formateur en Passation de marchés.
5. Auditeur.
6. Assistant en Passation de marchés.
Trois métiers ont été retenus à l’issue de la validation de la cartographie pour l’élaboration des programmes, il s’agit de :
1. Inspecteur de la commande publique
2. Contrôleur de la commande publique
3. Assistant en commande publique
L’élaboration des programmes selon l’APC est une activité qui se déroulera pour chaque métier en plusieurs phases : il s’agira dans un premier temps d’organiser un atelier pour l’élaboration du portrait du métier (Analyse en situation de Travail-AST), un atelier pour la validation du rapport du portrait et l’écriture du référentiel métier.
Les autres phases vont être constituées par l’organisation d’ateliers pour l’écriture de référentiels de compétences, de certification et de formation ainsi que l’élaboration des guides du formateur et d’évaluation. Pour le référentiel de compétences comme pour celui de certification, un atelier de validation avec les professionnels était prévu.
L’intérêt d’un tel travail c’est qu’il permet une professionnalisation des métiers (acheteurs publics) de la commande publique. Toute la documentation sur les trois métiers est disponible. Il semble que ce programme a été proposé pour validation au gouvernement précédent. Nous pouvons constater que la sollicitation est restée sans suite. Pourtant aujourd’hui la thématique la plus discutée dans le domaine de la commande publique est la professionnalisation des acteurs de la commande publique. La dernière Méthodologie d’évaluation des Systèmes de Passation de Marchés (MAPS) de 2024 initiée par la Banque mondiale était centrée sur la Professionnalisation des spécialistes en passation des marchés publics.
B. De la consignation des recours
Au démarrage de la réforme les recours n’étaient pas assujettis à la constitution d’une consignation. A ce titre les recours sont considérés comme un droit aux soumissionnaires et ils constituent un moyen de contrôle des décisions de la commission des marchés et/ou de la Personne Responsable du Marché (PRM). Mais aussi c’est un moyen de mise en confiance des entrepreneurs à la passation des marchés. A ce propos, il faut rappeler que dans notre mémoire collective les marchés publics sont considérés comme source de richesse ou d’enrichissement illicite du fait qu’avant la réforme les PRM disposaient de pouvoir exorbitant, sur la passation des MP, ce qui a conduit à des dérives dans l’adjudication des marchés sans tenir compte d’une
réelle concurrence ou l’adjudication est faite selon son bon vouloir tout simplement. Cette attitude est héritée de la colonisation. D’ailleurs c’est un des principaux écueils à l’appropriation des nouvelles règles de passation de marchés par les cadres de l’administration. Les nouvelles règles de passations des marchés publics incitent à des changements de comportement et de relation avec les deniers publics.
Dès lors, on se rend compte de l’importance du recours dans la cadre de la réforme c’est ainsi que le législateur a donné assez de temps au soumissionnaire pour exercer son recours gracieux, cinq jours francs et ouvrés et trois jours francs et ouvrés pour le recours auprès du Comité de Règlement des différends (CRD). Ce dernier était libre jusqu’à la révision du Code en 2014 où il a été mis en place une consignation dont le but essentiel était de décourager les recours fantaisistes. La particularité était que la consignation était remboursable lorsque le soumissionnaire a gain de cause dans un litige auprès du Comité de règlement des Différends et confisquée lorsque c’est l’autorité contractante qui a raison dans le litige. Cette disposition a fait l’objet de débat entre le secteur privé, la société civile, l’administration et les experts en passation de MP.
La dernière révision du code des MP en 2022 a modifié la consignation en frais de traitement de dossier voire article 90 al 4 du CMD. Ce qui aura une conséquence négative sur le contrôle des attributions par le biais des recours car les entrepreneurs seront découragés à exercer leur recours. Ils seront réticents à payer des frais de 50 000 f CFA pour faire un recours. C’est étonnant que le régulateur (le Conseil de Régulation) n’ait pas rejeté une telle proposition quand on sait que le jeu de la régulation dans les MP est de maintenir, entre autres, un équilibre des intérêts entre les différentes parties prenantes. De même, il est étonnant que les représentants du secteur privé et de la société civile au sein du Conseil de Régulation aient accepté une telle disposition. Par ailleurs, la redevance prélevée sur les MP importants et qui est allouée à l’ARCOP pour assurer son indépendance et autonomie financière de gestion est suffisante. Nos entreprises / PME sont déjà aux abois en matière de trésorerie, il n’est pas nécessaire d’en rajouter. Au fait, les 50 000 F CFA de consignation ou de frais de dossier sont versés à la Caisse de Dépôt et de Consignation, à la fin à quoi servent- elles ? Quel sort leur est réservé ? En somme, il est plus équitable de revenir à l’ancienne formule qui consiste à rembourser la consignation quand le soumissionnaire a gain de cause. Cela permet de donner de l’animation et de la vigueur dans l’écosystème de la passation des MP.
C. De la Demande de Renseignement et de Prix à compétition Restreinte (DRPCR)
La révision du code des MP intervenue en 2014 a introduit deux formules de Demande de renseignement et de prix (DRP) en plus de la DRP simple cotation. Il s’agit de la DRP à compétition restreinte et à compétition ouverte. Dans le rapport de présentation du Code de 2014, une telle innovation est justifiée, semble – t – il par la lourdeur des procédures qui seraient à l’origine de la difficulté d’absorption des crédits par les autorités contractantes.
Toutefois, il s’avère que la DRP restreinte est un véritable gouffre financier en matière de gouvernance des finances publiques. Voilà une procédure qui n’est encadrée que par les seuils suivant la nature des marchés et la nature de l’autorité contractante, et le nombre de cinq (5) soumissionnaires à consulter au minimum, ainsi que l’évaluation par la commission des marchés. Cependant elle ne présente aucun délai de consultation, de l’évaluation des offres, de la notification aux soumissionnaires, du recours gracieux et de celui auprès du CRD, elle n’est pas immatriculée de surcroit. De plus, lorsqu’à l’issue d’une consultation l’autorité contractante reçoit une seule offre, le CRD dans un récent avis, a estimé que la CM pouvait ouvrir les offres. Ce que je considère comme une porte ouverte à tous les excès. C’est-à-dire que les attributions vont devenir des attributions de complaisance. Pourquoi, parce que cette consultation a été précédée par une vérification de l’engagement des candidats à participer, recommandée par la règlementation. Comment expliquez alors la réception d’une offre unique ? Est qu’il n’y a pas à être septique ? Aujourd’hui, l’observation
de certains Plans de passation des marchés publics (PPM) de certaines autorités contractantes publiés sur le site des marchéspublics.sn sont marqués par l’utilisation abusive de la DRPCR autrement dit pratiquement tous les marchés sont passés sous ce mode de passation ou tout au moins une bonne partie des marchés le sont. Est-ce pertinent, qu’un budget tout entier ou une bonne partie, d’un ministère ou d’une agence ou société nationale puisse être passé sous ce mode ? Si c’est le cas, j’affirme qu’aucune épargne budgétaire ne sera réalisée. En rappel la réglementation dit que le mode de passation par principe est l’appel d’offres.
Ci-joint les seuils de la DRPCR en somme les budgets en péril.
D. De l’accord-cadre / marché à commande
Les accords-cadres sont un mode de passation des marchés introduit en 2014 dans le CMP. Il est sous utilisé aujourd’hui par les autorités contractantes. Pourtant c’est un mode qui peut contribuer non seulement à la célérité de l’exécution de certains marchés, mais aussi d’assurer la transparence et un meilleur rapport qualité-prix. « Les procédures d’accords-cadres sont souvent utilisées pour l’achat d’un objet disponible sur le marché dont l’autorité contractante a besoin durant une certaine période ou aura besoin ultérieurement, lorsqu’elle ignore la quantité exacte, la nature précise ou le moment de ces besoins ».
C’est une procédure qui présente des avantages certains :
ü De regrouper efficacement une série de procédures de passation de marché, permettant ainsi une efficacité dans l’acquisition par l’administration. En exemple l’accord cadre peut remplacer le marché à commande et le marché de clientèle ainsi que les procédures d’urgence.
Augmente la transparence et assure la concurrence pour les marchés de moindre valeur afin d’avoir
un bon rapport qualité-prix.
Favorise la participation des petites et moyennes entreprises dans la passation des marchés publics.
Pour une appropriation de l’accord cadre en tant que mode de passation de la commande publique. Il faut nécessairement revoir les directives. Nous devons les réécrire en les rendant plus digeste et pratique dans la description des procédures des différentes possibilité d’utilisation de l’accord cadre. Et ce travail doit se faire de manière inclusive c’est-à-dire en mettant en avant le dialogue des parties prenantes : les autorités contractantes et le secteur privé.
E. De l’offre spontanée
En 2014, le code a introduit l’offre spontanée comme mode de passation de la commande publique. Il faut signaler tout de suite que l’offre spontanée est un contrat de partenariat publique (PPP).
L’offre spontanée, mal encadrée, s’est avérée un véritable gouffre financier. Aujourd’hui encore, elle subsiste dans le code des marchés publics alors que dans la loi PPP il est prévu l’offre d’initiative privé (OIP) qui est l’appellation de l’offre spontanée dans notre législation. En somme, pourquoi l’offre spontanée continue – t – elle de subsister dans le code des marchés publics alors que les Délégation de Services publics (DSP) ont été supprimées du Code des marchés ? Les motivations sont-elles cohérentes ? Il y a lieu de supprimer l’offre spontanée du code des marchés et revoir l’encadrement de l’offre d’initiative privée dans la loi PPP. Actuellement, le Décret n° 2021-1443 du 27 octobre 2021 portant application de la loi n° 2021-23 du 02 mars 2021 relative aux contrats de partenariat public-privé a prévu une implication du porteur de l’offre d’initiative privée dans le montage du dossier pour l’offre d’initiative privée de préparation (OIPP) Article 106 et l’offre d’initiative privée de préparation (OIPP) Article 109. Ce qui est inapproprié car l’entreprise privé n’est pas un philanthrope si nous lui laissons l’initiative du montage et la détermination du coût du projet, il cherchera le profit sans gêne. On peut pensait que cela est à l’origine des surfacturations dans certains contrats PPP discutés dans l’espace publique. Nous devons aller vers la suppression des deux formes d’offres d’initiative privée à savoir l’offre d’initiative privé de réalisation (OIR) et l’offre d’initiative privé de préparation (OIP). Elles ne présentent aucune pertinence sinon qu’elles constituent des portes ouvertes à des abus . En effet de mon point de vue, l’évaluation préalable du projet doit être exclusivement de la responsabilité de l’autorité contractante et en dehors de toute intervention du porteur, avec l’appui de l’Unité nationale d’Appui aux PPP (UNAPPP). Le soumissionnaire fera sa proposition de projet mais l’autorité contractante en toute indépendance procédera à l’évaluation technique, financière, et commerciale et autres aspects éventuels du projet soumis, nonobstant un redimensionnement du projet. En somme la dernière mouture du projet sera de l’initiative exclusive de l’autorité contractante.
F. De la cellule d’enquête
Dans le cadre de ses missions telles que prévues à l’article 146 décret n° 2022-2295 du 28 décembre 2022 portant Code des Marchés publics et l’article 2 alinéa 6 du décret n° 2023-832 du 05 avril 2023 fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Autorité de Régulation de la Commande publique (ARCOP) :
A ce titre, elle est chargée entre autres :
D’initier et procéder avec ses moyens propres ou fait procéder à tout moment à des contrôles externes ou enquêtes sur la transparence et la régularité des procédures d’élaboration, de passation et d’exécution des marchés publics, délégations de services publics et contrat de partenariat ;
De rendre compte à l’autorité contractante concernée, au Ministre chargé du secteur concerné et au Ministre chargé des Finances, de la procédure suivie lors des contrôles et enquêtes, des anomalies relevées et propose, le cas échéant les mesures correctives appropriées ;
A l’observation, la cellule d’enquêtes est restée inopérante de 2013 à 2024. Pourtant, elle est prévue par la réglementation pour permettre le contrôle par les tiers.
Aujourd’hui, il y a lieu de restaurer la mission de la cellule d’enquêtes afin qu’elle participe à dissuader les malversations ou irrégularités qui peuvent survenir dans la passation et l’exécution des marchés.
G. Du Procès d’ouverture des offres
Dans tous les codes précédents celui de 2022, il était prévu ce qui suit en ce qui concerne l’ouverture des plis : « le nom de chaque candidat, le montant de chaque offre, la présence ou l’absence de garantie de soumission, les rabais éventuels ainsi que toute autre information que l’autorité contractante peut juger utile de faire connaître, sont lus à haute voix lors de l’ouverture des plis. Dès la fin des opérations d’ouverture des plis, ces informations sont consignées dans un procès-verbal signé par les membres de la commission des marchés présents et remis à tous les candidats. » Et ceci est expliqué par les dispositions de la loi portant Code des obligations de l’administration qui stipule que Article 24 – Principes fondamentaux applicables aux achats « qu’en vue d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics, la conclusion des contrats d’achat passés à titre onéreux par les acheteurs publics, doit, entres autres principes, : respecter les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Aussi le fait de remettre à la fin de l’ouverture des offres le PV à tous les candidats participe à matérialiser cette transparence. Ce fait permet de verrouiller toute tentative ultérieure de manipulation ou d’altération. Aujourd’hui le code des marchés publics de 2022 dispose en ce qui concerne le PV d’ouverture des plis :
« Dès la fin des opérations d’ouverture des plis, ces informations sont consignées dans un procès-verbal signé par les membres de la commission des marchés présents et remis à tous les soumissionnaires qui en font la demande ». Désormais l’autorité contractante peut faire du dilatoire avec un candidat jusqu’à expiration du délai de recours. Ainsi la porte est aussi ouverte à toute forme de manipulation, de soustraction ou de substitution. Il y a lieu de revenir à l’orthodoxie qui faisait l’efficacité de la règlementation. En effet en remettant le PV aux candidats, immédiatement, à la fin de la séance d’ouverture, cela augmente la confiance des entrepreneurs aux acteurs de la commande publique et leur permet d’exercer leur droit de recours qui est un élément de fiabilité de l’écosystème des marches publics.
H. La qualité dans les marchés publics
Le guide de l’acheteur publique en matière de qualité adopté le 15 septembre 1998 renvoie à la norme NF EN ISO 8402 de 1994 pour définir la qualité comme « l’ensemble des propriétés et caractéristiques d’une entité qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés et implicites. »
« Il convient de noter que le terme « entité » au sens large renvoie :
– Au produit matériel : objet et travaux ;
– Au produit immatériel : service, logiciel, conception, mode d’emploi
– A une activité, à un processus, à un procédé ;
– A un organisme, à une entreprise ;
– A un système ;
– A une personne ;
– Ou à une ou des combinaisons de ce qui précède. » (Guide de l’acheteur public)
« On peut dire désormais que le concept de qualité est associé à la norme dans notre société actuelle. Aujourd’hui la recherche de la qualité dépasse les exigences de la qualité répondant aux exigences de l’utilisateur, elle traduit une idée de garantie. »
Toutefois dans la pratique, les autorités contractantes sont confrontées à la qualité des fournitures, services physiques et travaux. En effet les seules spécifications techniques ne sont pas suffisantes pour assurer la qualité. Il faut une autre alternative pour maîtriser le risque fournisseur. Nous devons développer une entité à l’image de l’Association française de Normalisation (AFNOR) chargée d’une mission d’intérêt général. Nous avons tous les composants pour amorcer un développement de la maîtrise de la qualité dans les marchés
publics. Cela est aujourd’hui crucial surtout avec l’intégration des exigences du développement durable. A ce propos, nous signalons que les dossiers types intégrants les exigences de développement durable ne sont pas encore publiés par le Conseil de régulation de l’ARCOP. En fait, la prise en charge par nos entreprises de ces exigences de développement peuvent constituer des entraves à l’accès aux marchés publics pour nos Petites Moyennes et Grandes Entreprises. L’existence d’une structure comme AFNOR aurait permis de lever ces contraintes et de prendre en charge la formation et l’encadrement dans ce domaine.
Il y a une nécessité de rapprocher l’ARCOP des institutions comme l’Association sénégalaise de Normalisation (ASN) et Laboratoire national de Référence (LNR – BTP) ex CEREEQ pour engager un dialogue des parties prenantes pour un partenariat fécond dans la gestion de la qualité dans la Commande publique.
En conclusion
L’exposé supra n’est pas exhaustif. D’autres aspects dans l’écosystème de la passation de la Commande publique méritent aussi réflexion. D’aucuns vont faire des critiques lorsqu’il y a proposition de verrouillage contre les malversations en avançant la nécessité de la célérité dans l’exécution des marchés. Certes la célérité est indispensable mais doit-on la mettre en avant au détriment de la sécurisation des deniers publiques ? Non à mon avis, la Commande publique répond aussi de procédures administratives pour sa conformité, sa régularité, et pour la sécurisation de la dépense publique. Au regard d’autres législations avancées en matière de passation des marchés publics, les procédures administratives sont rigoureusement appliquées sans que cela influe négativement sur la performance socio-économique.
En effet les questions de célérité sont prises en compte dans les procédures de passation et c’est l’expertise des agents en charge de la passation mais aussi de leur responsabilisation qui feront la différence.
Toutefois, il y a lieu de prendre en compte de la Direction centrale des marchés publiques (DCMP) où le contrôle a priori doit garder sa qualité qui s’exprime à travers la célérité du traitement et la pertinence des observations. Le contrôle a priori est soumis à des délais qui doivent être respectés à tous les niveaux du contrôle : préalable, analyse du rapport d’évaluation des offres et la comparaison des offres, analyse juridique et technique du marché, etc…. De même que les demandes d’autorisation doivent faire l’objet de traitement diligent.
L’ARCOP ex ARMP et la DCMP ont connu dans le passé un rayonnement qui enchantait tout l’écosystème de la passation des marchés et ils s’érigeaient comme de véritables sentinelles et force de propositions dans la législation, la règlementation et la formation des acteurs pour un système de passation des marchés publics efficace et efficient. Malheureusement le régime précèdent a éteint ce rayonnement par la mise à genoux de ces deux organes. Nous devons revenir à ce rayonnement d’antan pour une passation de la commande publique performante et efficiente pour participer aux projets structurants de la vision Sénégal 2050.
Moussa DIAGNE
Manager Spécialiste en Commande Publique
Ex Chef de la division formation de l’ARMP/ARCOP Moussadiagne2000@yahoo.fr
Membre du MONCAP