Le Sénégal, pays de l’Afrique de l’ouest ouvert sur l’océan Atlantique avec 700 kilomètres de côte, occupe une position géographique unique qui en fait une principale et stratégique fenêtre d’échanges entre le continent et le reste du monde. Pour la Chine, le Sénégal représente un point d’entrée important pour ses besoins de recherches sur la géopolitique de l’Afrique et sur les modèles d’interaction entre le continent et l’extérieur. D’un point de vue historique, le Sénégal, berceau phare de la civilisation africaine, se distingue par sa longue histoire et la richesse de sa culture. Bien avant la période coloniale, le système socio-culturel, assez avancé, s’était déjà établi sur l’actuel territoire du Sénégal, comme en témoignent les différents royaumes fondés dans le pays. Ce riche patrimoine historique fournit aux chercheurs chinois des exemples vivants pour étudier l’origine, le développement et l’héritage de la civilisation africaine et celle du Sénégal en particulier.
Sur le plan politique, le Sénégal joue un rôle majeur et actif sur la scène politique africaine, voire internationale. Membre de plusieurs organisations sous-régionales et régionales, notamment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO), l’Union africaine (UA), l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA)…, le Sénégal s’engage activement dans la coordination des actions et la coopération diversifiée avec d’autres acteurs de la région.
De plus, le développement politique du Sénégal, marqué par un système politique stable et un modèle de démocratie salutaire, mais à l’épreuve des défis, inspire beaucoup les recherches en Chine, plus particulièrement sur la modernisation politique dans les pays africains. Dans le domaine économique, le Sénégal est un pôle de croissance majeur en Afrique de l’ouest, représentant la deuxième force économique dans l’espace de l’union économique et monétaire ouest-africain (UEMOA).
Au bout d’un quart de siècle d’efforts depuis 2000, les études sénégalaises en Chine ont apporté un certain nombre de fruits, et le Sénégal s’est hissé à un statut particulier dans les recherches menées par la Chine sur les pays africains francophones.
En fait, les chercheurs chinois se sont lancés dans les études sénégalaises dès les années 1980. À cette époque, Zhang Hongming a introduit en Chine le parcours académique et les contributions de Cheikh Anta Diop. Depuis l’année 2000, les études sur la société et la culture sénégalaises se sont multipliées. D’abord, Le Sénégal, faisant partie d’une collection qui présente les pays du monde, raconte différents aspects du pays : ethnies, histoire, arts, religions et développement social. Ensuite, Sénégal : Culture et Éducation, livre rédigé par Li Hongfeng et Cui Can, présente non seulement les généralités et les traditions culturelles du Sénégal, mais encore fait une recherche approfondie sur l’histoire de l’éducation sénégalaise et le développement de son système éducatif. Les enseignants-chercheurs chinois dans le domaine de l’éducation comparée ou celui de l’éducation des pays et régions spécifiques, ainsi que d’autres lecteurs intéressés, peuvent profiter de ce travail pour avoir une compréhension globale sur l’essentiel de la culture et l’éducation au Sénégal. En outre, Li Hongfeng a traduit en chinois des ouvrages d’intellectuels africains, notamment La pensée politique de Cheikh Anta Diop et Cercles à monolithes de Sénégambie, pour laisser le soin aux lecteurs chinois de découvrir, par eux-mêmes, les histoires de l’Afrique racontées par des universitaires africains.
En termes de recherche politique, la stabilité politique depuis l’indépendance contribue de manière significative au développement du Sénégal, et suscite un intérêt profond chez les chercheurs chinois. Plus précisément, certaines recherches portent sur les partis politiques sénégalais, notamment leurs concepts, structures organisationnelles et performances dans les élections. D’autres s’intéressent à divers sujets tels que le rôle de la société civile dans la vie politique, le renforcement de la conscience politique des citoyens etc. À cet égard, Meng Jin, chercheuse à l’Académie chinoise des sciences sociales, a expliqué dans sa thèse la contribution de la culture traditionnelle et sociale centrée sur l’inclusion et la cohésion au développement de la démocratie sénégalaise. Ces dernières années, nous pouvons retrouver plusieurs mémoires de Master ou thèses doctorales destinés à explorer le développement de la démocratie sénégalaise sous différentes perspectives.
Le développement économique du Sénégal intéresse également les chercheurs chinois, surtout en ce qui concerne l’agriculture et la pêche. Les études sur la modernisation de l’agriculture en Afrique et l’orientation de la capacité de développement durable sont largement motivées par une forte envie d’apporter un appui académique à la coopération entre la Chine et le Sénégal. De même, l’exploitation des ressources halieutiques du Sénégal, ainsi que le statut de la pêche dans l’économie nationale et les problèmes auxquels elle est confrontée, ont été analysés, afin de fournir des références pour la coopération sino-africaine dans le domaine de la pêche. Il faut aussi souligner les analyses sur les politiques économiques et la stratégie de développement du gouvernement sénégalais. Par exemple, les mesures du Sénégal pour la promotion des investissements, notamment les effets sur la croissance et la modernisation industrielle. Cette étude sert de guide pour orienter les investissements chinois et renforcer la coopération économique et commerciale entre la Chine et l’Afrique.
Plusieurs raisons peuvent expliquer l’essor des études sénégalaises en Chine au cours des 25 dernières années. Premièrement, les Chinois ont approfondi leurs connaissances du Sénégal au fur et à mesure des interactions diplomatiques entre nos deux pays. La visite du président Xi Jinping au Sénégal en 2018, la coprésidence sénégalaise du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) de 2018 à 2024, et les visites des responsables de Haut niveau ont stimulé la coopération sino-sénégalaise dans tous les domaines, et ont amené les chercheurs et le public chinois à accorder plus d’attention au Sénégal.
Dans le domaine de la coopération économique et commerciale, le nombre des projets bilatéraux ne cesse d’augmenter. Mieux, au Sénégal dont elle est aujourd’hui le deuxième partenaire commercial, la Chine a injecté environ 2,5 milliards de dollars américains dans des projets gouvernementaux du Sénégal, notamment dans le cadre de la coopération qui lie les deux pays, et auxquels s’ajoutent des investissements directs dans les domaines agricole, industriel, alimentaire, ainsi que ceux de la pêche, de l’énergie solaire, de la fabrication de matériaux de construction, pour ne citer que ceux-là.
La Chine a ainsi grandement contribué à la réalisation d’infrastructures diverses participant au désenclavement du Sénégal et à la promotion des activités économiques, de la culture, du sport… dans le pays.
A titre d’exemples, l’autoroute « ila Touba » qui a été réalisée par la Chine au Sénégal permet un déplacement fluide des populations sénégalaises, surtout à l’occasion du Grand Magal de Touba (activité religieuse phare au Sénégal qui entraîne le déplacement de millions de personnes annuellement, en direction de Touba, la cité religieuse mouride). Quant au Grand théâtre national, au Musée des civilisations noires, à L’Hôpital pour enfants de Diamniadio, à l’Arène nationale…, fruits de la coopération sino-sénégalaise, ils contribuent à la promotion de la santé, de la culture, de l’art et du sport au Sénégal. Sans oublier le pont de Foundioune, le plus long en Afrique de l’Ouest, construit dans le cadre d’un partenariat entre la Chine et le Sénégal et qui participe aujourd’hui au désenclavement du département de Fatick et facilite l’accès à la Gambie voisine, tout en concourant à l’écoulement des produits halieutiques dans la zone et vers d’autres localités du pays. Et tant d’autres infrastructures de haute qualité, réalisées dans le pays par la Chine et qui ont aujourd’hui un impact positif immense sur la vie quotidienne des populations du Sénégal, leur apportant plus de commodités, de facilités et de bien-être. Ce qui ouvre par ailleurs davantage de perspectives pour le développement de l’économie locale.
Parallèlement, ces projets permettent aux Chinois de connaître le terrain de façon plus directe, notamment les conditions géographiques, les besoins locaux pour les travaux et le potentiel de développement dont dispose le Sénégal. Toujours à travers ces projets, les employés chinois sont allés au contact de la population locale dans le Sénégal profond et raconteront à leur retour en Chine, ce qu’ils ont vécu dans le pays. Et cela permet à un plus grand nombre de Chinois de comprendre, d’une façon plus vivante, la vie, la culture et les coutumes de la société sénégalaise.
Les échanges culturels et éducatifs jouent un rôle non-négligeable dans la promotion de la compréhension du Sénégal en Chine. C’est en cela qu’il faut saluer aussi la création de l’Institut Confucius de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar qui est le fruit du partenariat sino-sénégalais.
Aussi, les œuvres littéraires sénégalaises telles que celles d’Ousmane Sembène ont-elles été introduites en Chine, alors que le patrimoine culturel sénégalais s’est imposé aux archéologues et historiens chinois. En même temps, les échanges et la coopération dans le domaine de l’éducation ne cessent de s’intensifier. Par exemple, les universités chinoises et sénégalaises ont mis en place une série de projets de collaboration pour renforcer la mobilité des étudiants et les échanges académiques. Lors de ses études à Dakar, une étudiante chinoise a même appris le wolof, et étudié de façon approfondie le système éducatif, l’atmosphère académique et la vie sociale au Sénégal. Après son retour en Chine, elle contribuera à diffuser les connaissances acquises sur le Sénégal.
En tant qu’intellectuels, il est de notre devoir de permettre aux peuples du monde de mieux comprendre la culture et les atouts de l’Afrique. Du coup, une meilleure compréhension de l’Afrique, de son histoire, de sa culture et des traditions des différents pays, de la sagesse du peuple africain) nous paraît indispensable pour promouvoir les relations amicales entre la Chine et l’Afrique, réduire la distance spirituelle entre les peuples chinois et africains. Mais aussi pour effacer les malentendus et lever les préjugés. Les chercheurs chinois et sénégalais devraient collaborer plus étroitement et diffuser ensemble des connaissances sur l’Afrique, pour que les cultures africaines soient connues et comprises par un plus grand nombre de gens, notamment les jeunes, et que la compréhension mutuelle entre les civilisations devienne une force motrice pour le développement partagé.
Auteurs :
Li Hongfeng, doyenne de la Faculté d’Etudes africaines, Université des Langues étrangères de Beijing
Amadou Diop, journaliste et expert sur les questions chinoises