Depuis l’adoption de la loi n°2018-12, le parrainage électoral est devenu un passage obligé pour toute candidature aux élections présidentielles et législatives au Sénégal. Présenté comme un outil de rationalisation du paysage politique, il est aujourd’hui au cœur d’un débat intense sur la transparence, l’équité et l’exclusivité du processus électoral. La révision constitutionnelle de 2023, fruit d’un dialogue politique, a tenté d’assouplir certaines dispositions. Toutefois, la pratique actuelle continue de soulever des controverses, en particulier autour de son usage technique, de son contrôle institutionnel et de ses effets sur la compétition politique.
L’évolution juridique d’un dispositif en mutation (2018-2023)
Le parrainage électoral au Sénégal tire sa légitimité de l’article 28 de la Constitution, qui encadre les conditions de candidature à la présidence de la République. Jusqu’en 2018, l’article L.57 du Code électoral (introduit par la réforme de 1991) s’appliquait uniquement aux candidats indépendants. Cependant, la loi n°2018-12 a bouleversé cet équilibre : désormais, toute candidature à une élection présidentielle ou législative, qu’elle soit portée par un parti politique, une coalition ou des indépendants, est astreinte au parrainage par une liste d’électeurs, Cette réforme, intervenue seulement neuf mois avant l’élection présidentielle de 2019, a été perçue comme précipitée.
La loi impose à tous les candidats un nombre minimum de parrainages : 0,8 % du fichier électoral pour la présidentielle et 0,5 % pour les législatives. Concrètement, les candidats aux législatives doivent recueillir au moins 34 580 signatures, réparties dans au moins sept régions, avec un minimum de 2 000 parrainages par région.
Le système interdit également le cumul de parrainages : « dans une élection, un électeur ne peut parrainer qu’un seul candidat ou une seule liste ». En cas de double parrainage, seule la première occurrence (selon l’ordre de dépôt) est retenue, et les autres sont invalidées. Si ces invalidations font chuter une liste sous le seuil requis, le mandataire est notifié et dispose de quarante-huit heures pour la régularisation, conformément à l’article L.57 du Code électoral.
En 2023, le dialogue politique a abouti à la loi n°2023-13, qui a abaissé le seuil de parrainage à 0,6 % du fichier électoral pour les présidentielles, avec la possibilité d’obtenir des parrainages de 8 % des députés ou de 20 % des chefs d’exécutif local, Ces ajustements visaient à rendre le dispositif plus flexible, mais n’ont pas suffi à apaiser toutes les critiques.
Le parrainage, entre souci de rationalisation et piège démocratique
Conçu comme un filtre contre les candidatures fantaisistes, le parrainage s’est rapidement transformé en un outil controversé. Plusieurs candidats sérieux ont été exclus pour des raisons techniques (doublons, erreurs de format), parfois sans justification claire, comme ce fut le cas de Mary Teuw Niane et Aly Ngouille Ndiaye. L’opacité de la procédure est renforcée par le fait que le Conseil constitutionnel assume à la fois le rôle de juge et de vérificateur, sans possibilité de contre-expertise.
La cour de justice de la CEDEAO, dans un arrêt rendu le 28 avril 2021, a jugé que l’interdiction du pluralisme de parrainage porte atteinte à la liberté de choix politique, mettant ainsi en cause la légitimité démocratique de la disposition.
En outre, le délai de 48 heures accordé pour régulariser les parrainages invalidés, bien que prévu par la loi, est largement insuffisant compte tenu de la complexité de la procédure et du manque d’accès équitable au fichier électoral actualisé
Regards croisés : modèles comparés et implications démocratiques
Dans d’autres démocraties, le parrainage varie fortement selon les objectifs poursuivis :
En France, il faut 500 signatures d’élus. En 2022, Marine Le Pen a failli être éliminée, et c’est le parrainage de François Bayrou, soutien d’Emmanuel Macron, qui lui a permis de se présenter ; une preuve de maturité démocratique.
Au Bénin (2019) : seuil de 10 % de députés et maires, jugé restrictif.
Mali (2016) : seuil modéré avec 10 députés ou 5 conseillers communaux.
Au Rwanda : 600 électeurs.
Au Kenya: 1 000 électeurs par circonscription.
En Allemagne : 200 signatures par circonscription pour les partis non représentés.
Ces modèles montrent qu’un parrainage équilibré renforce la légitimité ; excessif ou opaque, il devient un frein au pluralisme.
Plaidoyer pour une réforme inclusive et crédible du système de parrainage
Pour restaurer la confiance, plusieurs mesures doivent être envisagées :
1. Transfert de la mission de vérification du Conseil constitutionnel à une commission indépendante regroupant informaticiens, observateurs impartiaux et représentants de candidats.
2. Organisation d’un atelier national de dialogue sur le parrainage : partis, société civile, chefs religieux, syndicats et observateurs internationaux doivent y participer.
3. Encadrement légal de l’accès au fichier électoral, afin de garantir l’équité dans la collecte et la vérification des signatures, tout en protégeant les données personnelles.
4. Réduction des seuils de parrainage, tolérance accrue pour les erreurs techniques, et amélioration des délais de régularisation pour favoriser une compétition politique plus ouverte.
Le Dialogue de juin 2023 a marqué quelques avancées : la fourchette de parrainage a été abaissée entre 0,6 % et 0,8 %, et la possibilité de recourir aux parrainages d’élus a été introduite. Mais cela reste insuffisant sans une réforme structurelle plus ambitieuse.
En définitive, le parrainage électoral, initialement conçu pour rationaliser la compétition politique, est aujourd’hui perçu comme un mécanisme de verrouillage. S’il peut renforcer la légitimité démocratique lorsqu’il est équilibré, il devient un outil d’exclusion lorsqu’il est opaque, technocratique et centralisé. Pour que le Sénégal demeure un modèle de démocratie pluraliste, il est urgent d’instaurer un système de parrainage inclusif, techniquement fiable et politiquement impartial, Cela passe par la neutralité des institutions, la participation de tous les acteurs et la simplification des règles. La démocratie sénégalaise mérite un cadre électoral qui inspire la confiance, protège la diversité et renforce l’État de droit.
Sôsôli,
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