Lors de la conférence sur la fiscalité numérique organisée par l’OCBF, le ministre sénégalais des Finances et du budget , Cheikh Diba, a tiré la sonnette d’alarme : l’Afrique perd 60 milliards de dollars à cause d’une administration fiscale non numérisée et d’une incapacité à taxer l’économie digitale. Pourtant, le continent connaît une explosion des transactions numériques :
1 105 milliards de dollars en cryptomonnaies échangés en 2023, souvent hors contrôle fiscal.
– Des millions de créateurs de contenus locaux non rémunérés par les plateformes (YouTube, TikTok, Meta).
– Les opérateurs télécoms africains paient des redevances exorbitantes aux GAFAM pour l’utilisation de leurs services, sans contrepartie fiscale équitable.
Face à ce pillage silencieux, une réponse collective s’impose.
I. Les Trois Hémorragies Fiscales de l’Afrique Numérique
1. La Non-Numérisation des Systèmes Fiscaux : 60 Milliards de Dollars Évaporés
– Des administrations fiscales archaïques incapables de tracer les transactions électroniques (mobile money, paiements en ligne).
– Fraude massive due à l’informalité des échanges (seulement 15% des entreprises africaines sont enregistrées fiscalement).
2. L’Exploitation Sans Taxation des Géants du Numérique
– Absence de présence physique : Google, Netflix et autres génèrent des revenus en Afrique sans y payer d’impôts.
– Déséquilibre commercial : Les opérateurs télécoms (Orange, MTN etc…) paient des frais d’interconnexion aux GAFAM pour leur trafic data, sans réciprocité.
– Exemple concret : Pour chaque abonné Netflix en Afrique, 0% de taxe revient aux États, contrairement aux opérateurs locaux qui paient jusqu’à 30% de charges.
3. L’Économie Créative Pillée
– Les créateurs africains (musiciens, influenceurs) voient leurs revenus captés par les plateformes (Spotify, Instagram Snapchat etc…), sans protection ni redistribution.
– L’Afrique représente 15% des utilisateurs mondiaux de TikTok, mais perçoit moins de 1% des revenus publicitaires générés.
II. Cinq Solutions pour une Justice Fiscale Numérique
1. Urgence : Une Taxe Continentale sur les Services Numériques
– Modèle inspiré de la taxe GAFA européenne (3% du chiffre d’affaires local), appliquée à l’échelle de la CEDEAO ou de l’UA.
– Cibler prioritairement :
– Les revenus publicitaires (Google, Meta).
– Les abonnements (Netflix, Spotify Snapchat Instagram etc…).
– Les commissions sur les contenus (Apple Store, Play Store).
2. Numérisation Radicale des Administrations Fiscales
– Obligation de facturation électronique pour toutes les transactions B2B et B2G.
– Partenariats avec les fintechs (Wave, Flutterwave Orange Money etc…) pour tracer les flux financiers.
3. Protection des Créateurs et Opérateurs Locaux
– Quotas de revenus : Exiger que 20% des recettes publicitaires générées en Afrique soient redistribués aux créateurs locaux.
– Rééquilibrer les coûts d’interconnexion : Les GAFAM doivent contribuer aux infrastructures réseaux africaines.
4. Régulation des Cryptomonnaies : Stopper l’Évasion
– Licence obligatoire pour les plateformes d’échange (Binance, Paxful) opérant en Afrique.
– Taxation automatique des plus-values en crypto via les partenariats banques/fintechs.
5. Un Front Uni à l’ONU et à l’UIT
– Porter une voix africaine commune pour réformer la fiscalité internationale (Pilier 1 OCDE).
– S’appuyer sur l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) pour imposer des règles équitables sur l’interconnexion et la taxation du trafic data.
L’Afrique doit devenir maître de son destin Numérique
Les 60 milliards de dollars perdus chaque année pourraient financer :
10 000 km de fibre optique par an.
La couverture santé universelle dans 10 pays.
L’éducation digitale pour 50 millions de jeunes.
La bataille ne se gagnera pas à Dakar, Abuja ou Nairobi isolément, mais à Addis-Abeba (UA), Genève (UIT) et New York (ONU). L’harmonisation fiscale africaine n’est plus une option, mais une survie économique.
Ibrahima SALL
Commissaire Scientifique en charge du numérique du parti PASTEF