De la pandémie à Ormuz : une alerte pour la souveraineté énergétique
Face à une nouvelle menace sur le détroit d’Ormuz, l’Afrique, déjà fragilisée par la pandémie de COVID-19, se retrouve une fois de plus face à sa dépendance énergétique.
Deux événements récents, avant même la menace sur Ormuz, ont perturbé les équilibres énergétiques à l’échelle mondiale, ayant des impacts directs sur l’Afrique. L’épidémie de COVID-19 a engendré un effondrement sans précédent de la demande mondiale, ce qui a conduit à une chute temporaire des prix de l’énergie. Bien que ce répit soit apprécié par les pays importateurs, il a révélé leur dépendance structurelle et l’insuffisance d’investissement dans les capacités locales. En revanche, la guerre en Ukraine a modifié la tendance : le fossé entre l’Europe et la Russie a provoqué une flambée des prix des hydrocarbures et des fertilisants, accentuant l’inflation énergétique en Afrique, particulièrement dans les domaines de l’agriculture et des transports. Ces crises consécutives ont souligné l’importance pour le continent d’établir une véritable indépendance énergétique.
Lorsque l’inimaginable devient plausible
Le détroit d’Ormuz, cette étroite voie maritime stratégique par laquelle transite près de 20 % du pétrole mondial, suscite à nouveau l’attention. Ce passage critique, par lequel circulent environ 20 millions de barils de pétrole par jour, relie le golfe Persique et la mer d’Arabie via le golfe d’Oman. Il est vital non seulement pour les pays producteurs tels que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou l’Iraq, mais aussi pour les principaux importateurs d’Asie, d’Europe et d’Afrique.
Il constitue aussi un point de passage pour le gaz naturel liquéfié (GNL), en particulier celui exporté par le Qatar. Ce pays, qui figure parmi les principaux fournisseurs à l’échelle mondiale, transporte près de 30 % du GNL mondial.
Une perturbation dans le transport maritime aurait donc un impact non seulement sur les marchés du pétrole, mais aussi sur celui du gaz, accentuant la tension sur les coûts de l’énergie dans les zones à forte dépendance, telles que l’Asie et l’Europe.
Le Parlement iranien a récemment voté une résolution symbolique sans effet immédiat. S’il est peu probable que l’Iran ferme entièrement le détroit, une action qui lui serait fortement préjudiciable. Des troubles localisés demeurent toutefois possibles.
Les experts prévoient que si le détroit venait à être complètement fermé, le prix du pétrole pourrait grimper au-delà de 130 dollars, provoquant ainsi une inflation globale. L’annonce a déjà provoqué une hausse de 5,7% du Brent en l’espace d’une journée. Ce scénario rappellerait la flambée des prix observée pendant la guerre en Ukraine.
Les chaînes d’approvisionnement se fragilisent , notamment pour les pays dépendants des importations énergétiques. Oxford Economics estime qu’un blocage du détroit d’Ormuz pourrait entraîner une réduction de 0,3 à 0,5% du PIB mondial.
De la pandémie au choc énergétique : Une crise énergétique aux caractéristiques distinctes de celles du COVID-19
Alors que le COVID-19 a entraîné une baisse drastique de la demande, la crise d’Ormuz actuelle affecte directement l’offre : pétrole, gaz, matières premières stratégiques (telles que les métaux critiques, les engrais et les produits dérivés du pétrole) et transport maritime. Les conséquences
économiques sont immédiates : hausse des prix, perturbation des chaînes d’approvisionnement, ralentissement de la croissance. Si les effets rappellent ceux du COVID-19, la crise actuelle est plutôt d’origine logistique et non sanitaire. Face à cette hausse soudaine des coûts, les importateurs d’énergie qui avaient temporairement profité d’une diminution des prix pendant la pandémie de COVID-19 se retrouvent dans une position délicate.
L’Afrique, à nouveau en première ligne, fait face cette fois à une pression accrue d’inflation, sectorielle et logistique.
Cette contrainte d’approvisionnement souligne une nouvelle fois la dépendance du continent africain et la fragilité prononcée de ses économies en réponse à la géopolitique énergétique internationale.
Une fenêtre d’opportunité pour la souveraineté énergétique : le cas du Sénégal
Avec le prix du baril approchant les 130 USD, les pays africains seront confrontés à une flambée des coûts d’importation de carburants, d’électricité, de gaz et de transports.
Le Sénégal mise toutefois sur les projets énergétiques Sangomar (exploitation pétrolière offshore) et le projet gazier GTA (Grand Tortue Ahmeyim) pour regagner en souveraineté. De telles initiatives d’envergure orientent clairement la stratégie pour maîtriser les coûts de l’énergie tout en assurant à moyen terme des revenus fiscaux, une diminution des dépenses énergétiques et un soutien à l’industrialisation locale. Ces approches sont encourageantes, à condition qu’elles soient maintenues sur le long terme.
Au-delà du Sénégal, d’autres pays comme la Mauritanie ou le Ghana parient aussi sur l’exploitation de leurs ressources fossiles afin de renforcer leur indépendance énergétique.
COVID-19, Ukraine, Ormuz : trois crises, une même urgence énergétique
Recours excessif à l’endettement, défaut de coordination à l’échelle régionale, absence de réserves stratégiques : autant d’erreurs connues. Les pays africains ont appris qu’aucun choc externe n’épargne leur tissu économique interne. Répéter les mêmes erreurs dans une situation énergétique précaire constituerait une grave erreur stratégique. Il ne s’agit plus uniquement d’émettre des alertes, mais de consolider la préparation collective en réponse aux crises systémiques.
Les pays qui ont réussi à diversifier leurs sources et à consolider leurs réseaux logistiques tendent généralement à mieux résister aux crises. Cela suppose des capacités de raffinage, des infrastructures régionales, du stockage stratégique et des partenariats solides. Les priorités diffèrent d’une région à l’autre : l’Afrique de l’Ouest mise sur le gaz, l’Afrique australe s’oriente vers la diversification, tandis que le Nord se repose sur ses infrastructures existantes.
La crise d’Ormuz le rappelle : l’Afrique ne peut plus se permettre d’attendre que la crise survienne pour prendre des mesures. Elle doit prévoir, organiser et développer des capacités de résilience. Dans un monde énergétiquement instable, la souveraineté ne se décrète pas : elle se construit.
Soukeyna LY
Ingénieure en énergie et économiste, doctorante-chercheure en économie à l’ESG UQAM
(Montréal), spécialisée en stratégie énergétique et politiques publiques.