Le Sénégal traverse actuellement un moment charnière de son histoire économique. Le temps des grands défis est assurément le temps des choix résolus. Le choix d’un horizon et d’une feuille de route cohérente et porteuse, demain, des fruits d’efforts soutenus de chacun et de tous.
Les présentations successives du nouveau référentiel de gouvernance publique -Vision Sénégal 2050, dont les grandes lignes ont été dévoilées pour la première fois en juin par le Premier ministre Ousmane Sonko, et de la Stratégie nationale de développement (Snd) 2025-2029, le 14 octobre 2024, marquent une volonté politique de transformation structurelle de notre économie. Au cœur de ce plan ambitieux, qui servira de référentiel pour la politique économique et sociale du pays dans les vingt-cinq prochaines années, se trouve un objectif primordial : l’emploi des jeunes. Cette priorité, érigée en véritable clé de voûte du développement futur de la nation, témoigne de la ferme détermination du gouvernement de placer la jeunesse au centre de ses préoccupations et de ses actions pour l’avenir du Sénégal. À juste raison, parce qu’au cœur des nouvelles demandes citoyennes, se tient, tel un baobab indéracinable pour les régimes précédents, ce que certains observateurs n’ont pas hésité à dépeindre sous la formule de « péril jeune ».
Il est impératif de comprendre que la concrétisation de cette vision ambitieuse, capable de transformer les aspirations de notre jeunesse en opportunités tangibles, exige une révolution dans notre approche économique. Comme l’a souligné avec lucidité le Premier ministre, « nous devons opérer une rupture fondamentale dans notre modèle de développement » pour créer les conditions d’une prospérité partagée. L’heure est venue de s’interroger sur les leviers qui permettront de stimuler durablement notre croissance et de créer un environnement propice à l’épanouissement de nos entreprises, véritables moteurs de création d’emplois. Un nouveau paradigme en construction dans le cadre d’un autre référentiel de développement économique et social.
Un diagnostic sans concession Les indicateurs macroéconomiques actuels dressent un tableau préoccupant de notre économie. Avec une dette publique qui atteint 75% du Pib et un déficit budgétaire chronique de 5,5%, nos marges de manœuvre se réduisent dangereusement. La croissance économique, plafonnant à 4,8% en moyenne sur les cinq dernières années, reste insuffisante pour intégrer les 200.000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail.
Plus inquiétant encore, notre 110e place, dans l’indice mondial de la compétitivité, révèle un déficit structurel d’attractivité qui hypothèque notre développement futur. L’inefficacité de notre administration, qui nous coûte 1,7 point de Pib, soit plus de 300 milliards de FCfa selon le Fmi, illustre l’urgence d’une réforme systémique. Cette perte sèche, comparable au budget annuel de certains ministères clés, représente des ressources précieuses qui pourraient être réinvesties dans notre développement.
La nécessité d’un changement de paradigme Face à ces défis, la tentation pourrait être grande de persévérer dans une politique de la demande, multipliant les emplois publics et les subventions sociales. Cette approche, si elle peut apporter un soulagement à court terme, ne fera que reporter les ajustements nécessaires et aggravera nos déséquilibres structurels. La création (1) d’une grande banque publique d’investissement, fusionnant la Bnde, le Fonsis et le Fongip, constituerait un premier pas décisif. Avec des bilans cumulés de plus de 1.700 milliards de FCfa, des fonds propres conséquents de 270 milliards de FCfa et une capacité de financement global avoisinant les 700 milliards de FCfa, cette institution serait en mesure de déployer une stratégie d’accompagnement harmonisée, holistique et intégrée à toutes les étapes du cycle de vie des entreprises : financement, développement, pérennisation et transmission. L’expérience internationale montre qu’une telle consolidation des initiatives dans ces domaines peut augmenter l’efficacité des interventions publiques de 30 à 40%. Le défi de la transformation numérique Le secteur numérique représente une opportunité majeure pour notre économie.
Avec 230 millions d’emplois nécessitant des compétences numériques attendues en Afrique d’ici 2035 comme le souligne une étude majeure de la Société financière internationale (la Sfi), le Sénégal doit impérativement se positionner sur ce marché d’avenir. Or, notre approche actuelle, marquée par l’introduction d’une TVA sur les services numériques, risque de freiner notre développement dans ce secteur crucial. L’exemple du Kenya, qui a renoncé à sa taxe Gafam pour privilégier l’innovation, devrait nous inspirer. Dans un contexte où l’Afrique perd annuellement entre 50 et 80 milliards de dollars (entre 30.000 et 48.000 milliards de FCfa) en raison de l’optimisation fiscale, une approche coordonnée à l’échelle sous-régionale serait plus efficace qu’une taxation nationale isolée. L’impératif de la compétitivité Les chiffres sont révélateurs : en cinq ans, la Côte d’Ivoire a réduit son coût unitaire du travail de 10% par rapport au Sénégal. Cette évolution défavorable de notre compétitivité-coût se traduit déjà par une perte d’attractivité pour les investisseurs internationaux.
L’installation récente de JP Morgan à Abidjan plutôt qu’à Dakar en est une parfaite illustration. Le choix de ce géant bancaire mondial, qui a préféré faire de la Côte d’Ivoire son hub pour l’Afrique de l’Ouest, témoigne de manière éclatante des conséquences de cette perte de compétitivité. Dans le contexte de la future Zleca, qui regroupera un marché de 1,2 milliard de personnes et représentera un Produit intérieur brut (Pib) de 2.500 milliards de dollars (1.500.000 milliards de FCfa), cette situation devient critique. L’enjeu est d’autant plus crucial que le Sénégal se doit de se positionner pour tirer pleinement parti des opportunités historiques qui s’ouvrent à lui. Les dix (10) accords stratégiques signés lors du Focac 2024 et l’engagement sans précédent de la Chine d’investir 50 milliards de dollars (30.000 milliards de FCfa) et de créer un million d’emplois en Afrique constituent une opportunité transformative que nous ne pouvons-nous permettre de manquer. Mais ces investissements colossaux n’iront qu’aux économies les plus compétitives et les mieux structurées du continent !
Dans cette course aux investissements, le Sénégal doit absolument renforcer son attractivité pour en capter une part significative. Les études de la Banque Mondiale démontrent qu’une réduction de 10% des charges administratives peut générer un gain de productivité de 2,3%. Les entreprises bénéficiant de programmes de soutien gouvernemental enregistrent une croissance de leur chiffre d’affaires supérieure à 15% de celle de leurs pairs. Ces données soulignent l’importance d’une politique de l’offre cohérente et ambitieuse. Trois axes stratégiques pour transformer l’économie sénégalaise La réussite de cette transformation économique repose sur trois piliers fondamentaux qui doivent être déployés simultanément pour maximiser leur impact. Une réforme administrative et fiscale ambitieuse Premier chantier crucial : la modernisation de notre environnement administratif et fiscal.
Au cœur de cette réforme, l’introduction d’un «Small Business Act» à la sénégalaise apparaît comme une priorité absolue. Inspiré du modèle américain, ce dispositif révolutionnaire garantira aux PME un accès privilégié aux marchés publics, créant ainsi un véritable tremplin pour leur développement. La simplification drastique des procédures administratives, couplée à une réforme fiscale favorisant l’investissement productif, permettra de libérer les énergies entrepreneuriales. La digitalisation complète des services publics viendra couronner cette transformation, réduisant significativement les délais et les coûts pour les entreprises. L’innovation comme moteur de la compétitivité Deuxième axe stratégique : le renforcement de notre capacité d’innovation. La création de pôles de compétitivité sectoriels, véritables écosystèmes d’innovation, permettra de concentrer les talents et les ressources autour de projets structurants.
Un accent particulier sera mis sur les filières d’avenir – biotechnologies et intelligence artificielle en tête – qui façonneront l’économie de demain. L’économie bleue et verte, où le Sénégal dispose d’avantages naturels considérables, bénéficiera d’un soutien spécifique. Ces initiatives seront soutenues par un programme ambitieux de formation professionnelle, garantissant l’adéquation entre les compétences développées et les besoins du marché. Une intégration régionale et internationale renforcée Troisième pilier essentiel : notre insertion dans l’économie mondiale. Le positionnement stratégique du Sénégal au sein de la Zleca constitue une opportunité historique qu’il nous faut saisir. Le développement de corridors logistiques modernes renforcera notre rôle de hub régional, tandis que l’intensification de la coopération fiscale régionale permettra de lutter efficacement contre l’évasion fiscale qui mine nos économies.
Ces efforts coordonnés viseront à faire du Sénégal une destination privilégiée pour les investissements directs étrangers, catalyseurs essentiels de notre transformation économique. Une vision pour l’avenir La réussite de Vision Sénégal 2050 dépendra de notre capacité à mettre en œuvre ces réformes structurelles. Les expériences internationales montrent qu’une politique de l’offre cohérente peut transformer une économie en une décennie. Le Maroc, par exemple, a vu son Pib par habitant doubler en quinze ans grâce à une stratégie similaire. Pour le Sénégal, les enjeux sont considérables. Avec une population jeune et dynamique, des ressources naturelles importantes et une position géographique stratégique, notre pays dispose d’atouts majeurs.
La transformation de ces potentialités en réalités économiques exige cependant une volonté politique forte et une exécution sans faille des réformes nécessaires. L’heure n’est plus aux demi-mesures. La mise en œuvre d’une politique de l’offre ambitieuse constitue la clé de voûte de notre développement futur. Les chiffres sont là, les solutions sont identifiées, les expériences internationales nous montrent la voie. Il ne reste qu’à transformer cette vision en action, avec détermination et cohérence pour une incidence positive sur les secteurs de la production et, enfin, le quotidien des populations.
Le Sénégal de 2050 se construit aujourd’hui, à travers nos choix économiques et nos réformes structurelles. La réussite de cette transformation déterminera non seulement notre prospérité future, mais aussi notre capacité à offrir à notre jeunesse les opportunités qu’elle mérite. Le temps de l’action est venu. Le temps d’un quotidien aux couleurs d’un espoir neuf. (1) Lire mon article publié au journal Le Soleil du 2 juillet 2024 « Bnde, Fonsis, Fongip : repenser l’architecture de financement des pme/pmi pour plus d’efficacité »
Par Djiby SY Ingénieur Économiste et ancien Délégué Thématique au Centre de Recherche en Économie numérique et Innovation de Toulouse (Crenit) Rapporteur du projet de la Banque Mondiale « Promouvoir des Pôles de Compétitivité industriels en Afrique »