Moi, le faux « terroriste », de là où je me trouve désormais, dans ma demeure céleste et éternelle, je vous écris, le cœur apaisé, libéré du poids de la souffrance, de la pesanteur insupportable de cette vie qui n’a été que douleur ces derniers temps, depuis que j’ai été entraîné par la force, par la seule imagination fertile et le désir carnassier de mes bourreaux, dans le « camp » sénégalais de redressement des faux « terroristes ». L’accusation fallacieuse et diabolique dont j’ai été victime, qui m’a amené en prison pendant si longtemps et qui a accéléré mon passage de vie à trépas, m’a au moins appris une chose, je veux dire même plus, une sorte de sage pouvoir mystique longtemps enfoui au plus profond de mon « moi » et que je peux à présent, de ma tombe, enseigner au grand public qui va lire ces quelques mots : je sais désormais qui est un vrai terroriste et qui est un faux terroriste, je peux les décrire avec une précision chirurgicale. Prêtez-moi, pour une dernière fois, votre attention, je vous partage mes confidences d’outre-tombe sur le vrai visage du terroriste sans lequel je n’aurais jamais autant appris, parce que n’ayant jamais autant subi.
Voici à quoi ressemble un vrai terroriste : il vit loin de son pays et de son peuple dont il fut pourtant récemment le chef et dont il ne peut aujourd’hui supporter le regard inquisiteur, sûr d’avoir fait mal, très mal, à ses concitoyens victimes de ses actes de torture et de ses assassinats gratuits, sans fondement, si ce n’est pour satisfaire ses basses pulsions criminelles de « pouvoiriste » apeuré par le vide, l’inconfort et l’incertitude des lendemains d’après mandat. Le vrai terroriste peut froidement ordonner l’assassinat de 80 jeunes manifestants, l’incarcération de 2000 jeunes patriotes dont certains pour « délits » de port de bracelet aux couleurs d’un parti politique, ou « délit » d’avoir choisi l’image de leur leader sur les fonds d’écran de leurs smartphones. Le vrai terroriste peut programmer et organiser la disparition de militaires ou gendarmes, laissant orphelins leurs enfants qui mourront peut-être, eux aussi, à petit feu, de chagrin. Ces faits d’armes décrits supra ne peuvent être l’œuvre d’un faux « terroriste » comme moi. La preuve : moi, faux terroriste, je meurs à Dakar des séquelles de mon injuste séjour en prison, lui, vrai terroriste, continue de vivre à Marrakech d’où il danse le tango sur le ventre des martyrs.
Le vrai terroriste, il peut transformer des anges en monstres, ou alors révéler leur vraie nature longtemps couverte du manteau sombre et satanique de l’hypocrisie. Je pense à toutes ces personnes complices du « boucher » de Marrakech et qui justifiaient la répression au nom de la « raison d’État ». Ils l’ont aidé à fabriquer des faux « terroristes » comme moi, ne se souciant guère de la gravité et de l’impact ineffaçable de leurs gratuites accusations, des conséquences sur nos corps éprouvés et notre mental affecté à jamais. Ce sont eux les vrais terroristes. Vous, vous osez encore croiser nos regards sans honte pendant que votre ancien patron danse le tango à Marrakech sur le corps des victimes ? Une pensée particulière à cette « deus ex machina », ancienne ministre qui a troqué sa sensibilité naturelle de mère pour porter la combinaison de gardienne « bienveillante » de la plus grande des prisons d’ados. Je l’ai entendue dire que si ces milliers d’enfants patriotes et faux « terroristes » avaient été emprisonnés, ce fut pour les protéger. Bref, le petit manuel du fascisme, quoi : « on vous fait du mal, mais c’est pour votre bien ». Elle et certains de ses anciens collègues qui ont porté à haute voix, hors du pays, dans toutes les tribunes du monde où on leur prêtait encore l’oreille, l’accusation de terroriste sur leurs propres concitoyens, sont sans doute nés un peu tard et dans un ailleurs trop éloigné, sinon, ils auraient pu offrir leurs services zélés de collabos à Hitler ou Mussolini.
Au vrai terroriste, qui, de son exil doré du Maghreb, lira cette lettre d’outre-tombe, à ses complices et tortionnaires en mission commandée, je puis confier très franchement et très sérieusement ceci : je vous pardonne ! Car, après tout, j’ai finalement compris que nous n’appartenions pas au même monde. Dans le vôtre, le ventre et le bas-ventre sont les seuls bastions du pouvoir. Dans le mien, on s’élève au-delà des bassesses terriennes, plaisirs éphémères de domination et de jouissance de pouvoir passager qui peuvent entraîner toutes les dérives. Jusqu’à ce que le destin vous stoppe sans avertir. Et alors, on découvrira que les insuffisances que nous partageons tous ne sont pas que rénales, elles sont naturellement générées par l’horloge biologique pour marquer le début de l’épreuve la plus démocratique au monde : la mort. Le privilège d’avoir quitté ce bas monde avant vous aide à purger les négatives réminiscences, il m’enjoint le devoir de vous pardonner ce que vous m’avez fait subir, mais il m’octroie également tous les droits de vous recommander l’attrition et la résipiscence avant notre future rencontre au ciel, pour constater ensemble les fragilités coupables de nos humanités partagées.
À la mémoire du faux « terroriste » !
Ndiaga Loum, professeur titulaire, UQO