Au Sénégal, l’avènement au pouvoir des nouvelles autorités bien initiées aux rouages de l’impôt, a occasionné une redéfinition des rapports entre l’Etat garant du bon fonctionnement du service public et les usagers du service public. Désormais l’impôt est au cœur de la relation contractuelle dans laquelle « chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même…[1] ». Le Président de la République et le Premier Ministre, ont rappelé à plusieurs occasions[2], la nécessité du paiement de l’impôt pour accompagner la mise en œuvre des projets de l’Etat. Le citoyen, l’administré, l’usager du service public devra donc comprendre la notion d’impôt, se familiariser avec et s’acquitter de ses obligations fiscales.
Défini comme une prestation pécuniaire ou non, requise des particuliers et des entreprises par voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie en vue d’assurer la couverture des charges publiques, l’impôt doit être connu et compris par ceux qui le supportent notamment les personnes physiques (particuliers).
En effet le consentement à l’impôt requiert tout d’abord sa connaissance, la compréhension de son rôle dans la mobilisation des ressources nécessaires à l’exécution des projets de l’Etat.
I. Les préalables à une meilleure compréhension de l’impôt par le citoyen : la sensibilisation et la formation
Le terme « contribuable » se substitue à celui de « citoyen » quand il s’agit de sensibiliser les populations sur la nécessité de contribuer au développement du pays.
Le consentement à l’impôt passe tout d’abord par la connaissance de l’impôt, l’appréhension de sa dimension économique et sociale. En effet l’impôt est un instrument de politique économique et sociale, un levier que l’Etat active pour trouver les ressources nécessaires à la satisfaction des besoins des populations. L’Etat utilise également ce même levier pour satisfaire les populations lorsqu’il s’agit de revendications de ses agents dénonçant une lourdeur de l’impôt. Dans ce second cas, l’Etat à travers l’Assemblée nationale adopte une loi pour baisser le taux d’un impôt ou procéder aux modifications nécessaires au code général des impôts en vue de satisfaire ces revendications.
L’opération de sensibilisation des citoyens sur l’impôt, menée par l’Administration fiscale et accentuée ces derniers mois à travers diverses formes et différents supports de communication (points d’arrêts de transport en commun, moyens de transport, magazines télévisés sur la RTS, spots publicitaires tels que « la minute dgid » sur la radio sud fm, alerte sms pour le rappel de l’échéance de paiement des impôts), est à saluer et à encourager.
La sensibilisation devrait aussi être élargie dans les départements et communes par l’organisation des séances d’information des citoyens sur l’assiette imposable, les redevables légaux et les modalités de paiement de l’impôt dû. Des comités composés d’agents de la DGID[3], de fiscalistes du secteur privé, d’élus locaux et des agents municipaux, pourraient régulièrement tenir des sessions d’information dans les places publiques après une publicité préalable de l’activité à travers les radios locales mais aussi à travers les réseaux sociaux.
Cette sensibilisation du citoyen sur l’impôt dont il est redevable facilitera le prélèvement de l’impôt à l’occasion des tournées de PPA (paiement par anticipation)[4].
Après la sensibilisation du citoyen, il faut former les acteurs préposés au prélèvement des impôts et taxes notamment dans les communes. En effet les collecteurs des taxes municipales et des impôts locaux doivent être formés sur la délimitation de l’assiette imposable, les modalités de calcul du montant à payer et le mode de paiement. D’où la question de l’intérêt d’aménager un pouvoir fiscal local pour les collectivités territoriales.
En somme, la sensibilisation et la formation permettent de lutter contre les difficultés liées à la compréhension de la fiscalité qui est « un domaine où la complexité est plus douloureusement ressentie »[5].
II. L’adhésion à l’impôt : une nécessité pour le raffermissement des liens du contrat social
Le Premier Ministre a réitéré lors de son dernier passage à l’Assemblée Nationale le 14 Avril 2025, la nécessité pour les citoyens de contribuer à la mobilisation des ressources publiques afin d’aider l’Etat à mieux prendre en charge leurs préoccupations. Le succès éclatant enregistré par l’Emprunt obligataire émis par l’Etat du Sénégal (qui cherchait 150 milliards et a obtenu 405 milliards) est assez illustratif de l’adhésion du peuple aux politiques publiques déclinées par les nouvelles autorités.
L’invite faite aux sénégalais de participer à l’effort de solidarité nationale à l’Assemblée nationale, est très symbolique. En effet l’Assemblée nationale est par essence le lieu de l’émanation de la loi fiscale. C’est l’endroit indiqué pour parler de l’impôt qui est du domaine de la loi tel que précisé par la Constitution du Sénégal en son article 67[6].
L’adhésion des citoyens à l’impôt doit se traduire par l’acquittement de leurs obligations fiscales à savoir la déclaration d’existence particulièrement pour les entreprises, la déclaration des revenus imposables ainsi que le paiement du montant de l’impôt dû. Toutes ces obligations doivent être accomplies volontairement et dans les délais légaux. Le respect par le citoyen de ses obligations fiscales en plus de faciliter la mobilisation des recettes fiscales, garantit au contribuable une sécurité juridique en l’évitant d’éventuelles sanctions sur le plan fiscal et pénal.
Le consentement à l’impôt implique également de la part de l’Etat qui définit la politique fiscale, l’adoption d’un impôt acceptable parce que supportable par la majorité des contribuables et payé délibérément par ces derniers.
III. La nécessité d’un impôt soutenable assis sur une large assiette
Monsieur le Premier Ministre, un sachant de la matière fiscale, a toujours soutenu que l’impôt le plus rentable est celui dont le montant n’est pas très élevé mais qui est supporté par la majorité des sénégalais. Cette option devrait être l’un des objectifs des réformes fiscales en cours et celles à venir. Il devrait être attendu des prochaines lois de finances (initiales et rectificatives), des modifications du code général des impôts en vue de baisser les taux pour certains impôts, taxes et redevances et corrélativement élargir l’assiette fiscale.
Toutefois le rendement de cet « impôt moyen pondéré » supporté par tous à l’exception des personnes exonérées pour des raisons objectives et des activités exonérées pour des raisons justifiées par le souci d’accompagner et booster certains secteurs (agricole, énergie, extractif, éducation…), dépendra de la capacité contributive des particuliers et des entreprises. D’où la nécessité d’un apaisement du climat des affaires pour favoriser l’investissement, la création de richesses et d’emplois. En effet quelles que soient la modicité de l’impôt et la volonté du citoyen de contribuer au budget de l’Etat et des collectivités territoriales, si celui-ci ne dispose pas de revenus, il ne pourra pas matérialiser sa volonté.
Le défi actuel des nouvelles autorités demeure, l’articulation entre la reddition de comptes (qui est une demande sociale, un mal nécessaire) et l’assainissement du climat des affaires afin d’assurer aux investisseurs les garanties de s’installer dans un pays aux avantages comparatifs très intéressants.
Ousmane CAMARA
Diplômé en droit des affaires et en fiscalité
Expert fiscal stagiaire inscrit à l’ONES
Membre du MONCAP
Notes :
[1] ROUSSEAU (J. J.), Du Contrat social ou Principes du droit politique, chapitre VI, 1762, édité par la bibliothèque numérique romande www.ebooks-bnr.com
[2] En ce qui concerne le Président de la République c’est à l’occasion de sa deuxième rencontre avec la Presse nationale le 04 Avril 2025 qu’il a lancé l’appel aux citoyens de participer au développement du pays en s’acquittant de leurs obligations fiscales. Il avait auparavant assuré aux citoyens une bonne gestion de leurs impôts lors de sa première rencontre avec la Presse nationale au mois de Juillet 2024. Quant au PM, il a rappelé à plusieurs reprises la nécessité de payer l’impôt, la place et le rôle de l’impôt dans le développement d’un Etat mais aussi et surtout, le bon usage de l’impôt. Etant opposant, il avait toujours traité des questions ayant trait à l’impôt à travers ses sorties médiatiques et dans ses productions intellectuelles (Livres publiés). Après avoir accédé au pouvoir, il a assuré au peuple une gestion saine de leurs contributions fiscales, en s’alignant au « Jub jubal jubbanti ».
[3] DGID signifie Direction Générale des Impôts et Domaines. C’est une direction du Ministère des Finances, chargé de la mise en œuvre de la politique fiscale de l’Etat.
[4] Les tournées PPA sont prévues en ce qui concerne le recouvrement de certains impôts locaux notamment l’’IMF (impôt du minimum fiscal). Ce sont de vieilles pratiques mises en œuvre dans les communes appelées villages avant l’entrée en vigueur de la Loi n°2013-10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités territoriales.
[5] GOUANDAIN Daniel, La Complexité fiscale, un mal nécessaire ? in LES REALITES ECONOMIQUES parue dans les ANNALES DES MINES de septembre 2000.
[6] La Constitution du Sénégal dispose en son article 67 que « la loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures »