Au Sénégal, de nombreuses femmes et jeunes filles subissent quotidiennement des violences sexuelles dans le silence et l’indifférence « Culturelle Banalisée » Malgré l’engagement de certaines organisations de la société civile (OSC) œuvrant pour les droits des femmes. Ces agressions, perpétrées dans l’ombre, détruisent des vies, brisent des trajectoires prometteuses et renforcent les inégalités de genre qui entravent le développement de la société tout entière. Face à cette réalité alarmante, pudiquement ignorée, il est urgent d’agir pour briser le silence, soutenir les victimes et réclamer une justice exemplaire.
Un fléau systémique et invisibilisé
Les violences sexuelles constituent une problématique transversale affectant l’ensemble des strates sociales, indépendamment des variables d’âge, de position socio-économique ou d’appartenance géographique. Toutefois, ces actes criminels demeurent largement sous-déclarés, notamment en raison de la stigmatisation inhérente au regard de l’autre, un concept central dans la pensée de Jean-Paul Sartre, où l’individu devient objet d’une altérité normative pouvant générer honte et aliénation.
Ce phénomène s’ancre dans des structures sociales profondément enracinées, que l’on peut analyser à travers l’approche durkheimienne du fait social, selon laquelle les normes culturelles et les représentations collectives conditionnent la perception des victimes et influencent leur propension à dénoncer les agressions subies. La crainte des représailles, combinée à un déficit de connaissance des dispositifs judiciaires et à l’insuffisance des infrastructures dédiées à la prise en charge des survivantes, entrave l’effectivité de la justice et perpétue un état de domination symbolique, au sens de Bourdieu, qui maintient les victimes dans un espace de marginalisation et de silence.
Enfin, dans une perspective philosophique et politique, il est essentiel de mener une réflexion critique sur le pouvoir et la vulnérabilité, en insistant sur la nécessité d’un cadre institutionnel et normatif garantissant aux victimes la reconnaissance de leurs droits et la restauration de leur dignité dans l’espace public. Ainsi, la lutte contre les violences sexuelles ne peut se limiter à une réponse judiciaire ; elle exige une transformation en profondeur des structures sociales et des dynamiques discursives qui perpétuent ces violences et contribuent à leur invisibilisation.
Les jeunes filles et garçons sont particulièrement vulnérables, exposés aux abus dans les foyers, les écoles, les daaras, les lieux de travail et même dans les espaces publics. Le silence imposé aux victimes par la société et les pressions socio-culturelles renforcent l’impunité des agresseurs et perpétuent le cycle de la violence.
Le Syndicat des Enseignants Libres du Sénégal Authentique (SELS/A) s’alarme face aux statistiques publiées par le GEEP (Groupe pour l’Étude et l’Enseignement de la Population) dans son rapport 2024. Ce document met en lumière une situation préoccupante concernant les grossesses précoces en milieu scolaire, qui nécessitent des actions urgentes et concertées. En 2024, un recensement a été effectué dans 1332 établissements publics du moyen secondaire, représentant 85 % de la carte scolaire. Ce travail a révélé 1202 cas de grossesses chez des élèves âgées de 12 à 19 ans, répartis comme suit : les académies les plus touchées incluent Fatick (166 cas, soit 13,81 %) et Ziguinchor (157 cas, soit 13,06 %)[4].
Cette réalité alarmante ne peut être dissociée des dynamiques structurelles de domination et de vulnérabilisation qui régissent les rapports sociaux, notamment à travers le prisme de l’intersectionnalité. Introduit par Kimberlé Crenshaw, ce concept analyse la manière dont différentes formes de discrimination (race, classe sociale, handicap etc.) s’entrelacent et amplifient l’exposition aux abus sexuels. Ainsi, les adolescentes issues de milieux défavorisés, confrontées à des contraintes économiques et sociales, peuvent être particulièrement vulnérables aux violences sexuelles et à leurs conséquences, y compris les grossesses précoces. De même, les jeunes filles en situation de handicap, souvent en position de dépendance, ou celles appartenant à des groupes marginalisés, peuvent être exposées à des abus tout en ayant un accès limité aux mécanismes de protection et de justice.
En ce sens, la problématique des grossesses précoces en milieu scolaire, des abus dans les espaces publics ou encore au travail ne peut être envisagée uniquement sous un prisme statistique, mais doit être replacée dans une analyse plus large des rapports de pouvoir et des inégalités systémiques. Une réponse efficace ne saurait se limiter à des mesures éducatives ou répressives, mais doit s’inscrire dans une transformation structurelle garantissant un environnement sûr et équitable, capable de rompre avec les logiques de vulnérabilisation et d’exclusion.
Marginalisation sociale et conséquences des abus aexuels
Les violences sexuelles ont des conséquences profondes sur la santé physique et mentale des survivantes. Elles augmentent les risques de dépression, d’anxiété, de troubles post-traumatiques et de suicides. Sur le plan social, elles renforcent la marginalisation et limitent l’accès à l’éducation et à l’emploi, compromettant ainsi l’autonomisation des femmes et des filles.
Les violences ne se limitent pas aux espaces privés. Selon la Maison des Reporters, « Que ce soit dans un bus, un car rapide, un “Ndiaga Ndiaye”, un taxi, dans les rues, à la maison ou sur le lieu de travail, de nombreuses femmes subissent au quotidien des agressions sexuelles, des attaques et provocations verbales, des quolibets et autres remarques blessantes sur leur physique, elles sont la cible de harceleurs. La majorité a malheureusement fait le choix résigné du silence ». Récemment, un cas d’attouchements sur une fillette dans un bus a conduit à l’arrestation d’un récidiviste par la Section de Recherches de Saint-Louis, illustrant l’ampleur du problème dans les lieux publics.
Réponses sociales adaptées
Pour lutter efficacement contre ce fléau, nous appelons à des actions immédiates et concrètes :
-Renforcement du cadre juridique et judiciaire : une application stricte des lois existantes et des sanctions exemplaires contre les auteurs de harcèlement et agressions sexuelles sont essentielles. A cet égard, il est impératif d’améliorer l’accès à la justice pour les victimes en simplifiant les procédures et en assurant leur protection contre toute forme de pression ou de menace.
Sensibilisation et éducation : Il est crucial d’intégrer, au plus vite, l’éducation à l’égalité des genres et aux droits humains dans les programmes scolaires et de former les communautés à la détection et à la prévention des violences sexuelles.
-Soutien aux survivantes : la mise en place de structures d’accompagnement en nombre suffisant, accessible et polyvalent offrant des soins médicaux de qualité, un soutien psychologique systématique et une assistance juridique efficace est une priorité.
-Engagement des leaders communautaires et religieux : leur implication dans la lutte contre ces violences est essentielle pour faire évoluer les mentalités et encourager la dénonciation.
Briser le silence, c’est sauver des vies
Les femmes et les jeunes filles victimes de violences sexuelles ne doivent plus être réduites au silence. Nous devons leur donner la parole, les écouter et les soutenir sans jugement. Chaque citoyen, chaque institution et chaque leader a un rôle à jouer pour mettre fin à ce fléau. C’est le défi qu’il faut relever individuellement et collectivement. Ensemble, levons-nous pour dire NON aux harcèlements et violences sexuels. Agissons maintenant pour un Sénégal où chaque femme et chaque fille peut vivre et s’épanouir sereinement, avec dignité et en toute sécurité.
Par Dr. Mame Safietou Djamil Gueye
Sociologue. Expert Principal en Gouvernance, Genre et Politiques de Développement