Le gel des décaissements du Fonds Monétaire International (FMI) pousse le Sénégal à intensifier sa mobilisation de ressources via des emprunts obligataires (APE) ouverts à tous. Si cette stratégie répond aux besoins immédiats de l’État, elle génère un risque majeur et sous- estimé : la fragilisation du système bancaire national, pris en étau entre les exigences de financement public et celles de l’économie réelle.
Traditionnellement, l’épargne des particuliers et des entreprises, via les dépôts à terme (DAT), constitue la base sur laquelle les banques s’appuient pour octroyer des crédits. Or, l’introduction régulière d’APE, souvent assortis de taux d’intérêt attractifs (parfois supérieurs aux DAT bancaires), crée un effet d’éviction. Les souscripteurs privilégient ces titres publics, jugés moins risqués et plus rémunérateurs, au détriment des dépôts bancaires.
Cette concurrence directe avec le Trésor public entraîne inévitablement :
Une baisse des dépôts dans les établissements financiers ;
Une raréfaction des ressources à moyen et long terme, pourtant essentielles pour le financement des projets économiques ;
Un risque de désintermédiation financière et, par conséquent, une raréfaction du crédit, car moins de dépôts signifie moins de fonds à prêter.
En court-circuitant le système bancaire pour se financer directement auprès du public, l’État affaiblit la position centrale des banques dans le financement de l’économie. Cette situation s’apparente à une concurrence déloyale. L’État, en tant qu’émetteur « sans risque », même face à ses propres difficultés, capte une part cruciale de l’épargne que les banques auraient pu transformer en leviers de croissance.
Les entreprises privées en subissent de plein fouet les conséquences, peinant à trouver les ressources nécessaires au financement de leurs projets, ce qui risque d’entraîner un désinvestissement privé.
Pour préserver la vitalité du secteur bancaire et sa capacité à soutenir l’économie, il est impératif d’envisager des solutions :
Limiter la fréquence et les montants levés via les APE, afin de ne pas assécher le marché monétaire local ;
Favoriser des synergies avec les banques, en les intégrant davantage dans le placement des titres d’État.
Le recours aux emprunts obligataires APE, bien que compréhensible dans un contexte de restrictions budgétaires, ne doit pas compromettre la stabilité du secteur bancaire, moteur essentiel du financement de l’économie sénégalaise.
Aly Ngouille SARR,
Banquier de formation.