Ils sont les sentinelles silencieuses de l’enfance en détresse. Chaque jour, les éducateurs spécialisés accompagnent des mineurs brisés par la vie, en conflit avec la loi ou abandonnés par le système.
Pourtant, ces professionnels de l’ombre exercent dans des conditions précaires, sans moyens suffisants, sans cadre de protection renforcé, et souvent sans reconnaissance. Une profession en tension, dont l’État ne peut plus ignorer les cris d’alerte.
Un métier au cœur de la justice des mineurs
Rattachés au ministère de la Justice, les éducateurs spécialisés relèvent de la Direction Générale de la Protection Judiciaire et Sociale (DGPJS). Ils interviennent dans une diversité de structures : Centres de Sauvegarde, Centres de Premier Accueil, Centres Polyvalents, ainsi que les services de l’action éducative et de la protection sociale en milieu ouvert (AEMO), répartis dans les 46 départements du pays.
Leur mission est plurielle et exigeante : prévenir les risques d’exposition à la délinquance, protéger les enfants en danger, accompagner les parcours individuels et reconstruire des trajectoires de vie souvent brisées. Ils travaillent en lien avec les magistrats pour enfants, les travailleurs sociaux, les familles, les établissements scolaires, les hôpitaux, et parfois même les forces de sécurité.
C’est un travail de proximité, de patience, de conviction. Un métier qui demande à la fois une solidité émotionnelle, une rigueur administrative et une grande intelligence relationnelle.
Des éducateurs transformés en hommes à tout faire
Dans de nombreux centres, les éducateurs ne se limitent plus à leur mission éducative. Ils doivent aussi assurer des tâches administratives, informatiques et parfois logistiques : saisie des bulletins scolaires, gestion de la comptabilité, organisation des déplacements…
Cette polyvalence forcée, fruit du sous-effectif chronique et du manque de personnel de soutien, empiète lourdement sur leur cœur de métier. Lorsqu’un éducateur devient à la fois chauffeur, secrétaire et comptable, il ne lui reste que peu de temps et d’énergie pour l’écoute, la prévention et le suivi individualisé des mineurs.
Un métier à risque, sans filet de sécurité
Dans les services de milieu ouvert, le manque de véhicules est un frein majeur. Faute de moyens logistiques, certains suivis à domicile sont ajournés, les audiences sont difficilement honorées, et la présence sur le terrain devient aléatoire.
À cela s’ajoute une réalité plus préoccupante : les éducateurs sont parfois exposés à des menaces, verbales ou physiques, notamment dans certains quartiers sensibles. Ils interviennent seuls, sans escorte, sans dispositif de protection, sans indemnité de risque. Ils avancent dans une insécurité sourde, connue mais non reconnue.
Des équipes en souffrance, un avenir incertain
Les structures d’accueil sont submergées par la demande. Les équipes, trop peu nombreuses, peinent à couvrir l’ensemble des dossiers. À cela s’ajoute un vieillissement du personnel : une part importante des éducateurs approche de la retraite. Si leur expérience est précieuse, les exigences physiques, psychologiques et émotionnelles du métier rendent indispensable l’arrivée de nouveaux agents, mieux préparés et mieux accompagnés.
Des revendications claires, des réponses attendues
Face à cette situation, les professionnels du secteur formulent, depuis plusieurs années, des revendications aussi simples que vitales :
Le renforcement des effectifs, par le recrutement de jeunes professionnels formés ;
L’amélioration des moyens logistiques, notamment des véhicules en bon état pour les suivis en milieu ouvert ;
La création de nouveaux centres, équitablement répartis sur le territoire, pour absorber la demande croissante ;
L’octroi d’indemnités de risque et la mise en place d’un cadre de protection renforcé pour les agents ;
Une meilleure reconnaissance statutaire et symbolique de leur rôle dans l’appareil judiciaire.
Ne pas abandonner ceux qui refusent d’abandonner
L’éducateur spécialisé est bien plus qu’un agent social. Il est souvent le dernier rempart entre l’enfant et la rue, entre le conflit et la résilience, entre le décrochage et l’insertion. Le négliger, c’est affaiblir une chaîne essentielle dans la construction d’une société plus juste.
Quand ceux qui protègent les plus vulnérables se retrouvent eux-mêmes sans protection, c’est toute une politique publique qui vacille. L’État ne peut plus faire l’économie d’une réforme ambitieuse. Car c’est sur les épaules de ces femmes et de ces hommes que repose, en silence mais avec détermination, la dignité de notre justice sociale.
Linguere Khadidiatou Ndiaye
Élève éducatrice spécialisée au Centre de Formation Judiciaire