En ces soirées festives, il y a de la joie. Il y a des éclats. Il y a de la voix. Il y a cette foi en des jours passés, que l’on se plaît à croire plus heureux. Dans ces multitudes en liesse, il y a certes des moments d’aberration, mais surtout des instants de plénitude, d’extase, et parfois même de grâce. C’est le temps des « foureuls » de la Génération Z. Marinières, taille « Mame », épaulettes en tout genre, pagnes noués, « serou nothie » ou « rabale », maquillage old school avec fard à joues bien visible… Les coiffures racontent elles aussi une époque, avec les chignons bananes. Les chaussures, quant à elles, marchent sur les pas d’un passé jalousé : talons « ñamby » (compensés), ou brodequins avec ou sans « carpette » en bois. La marche est enclenchée.
« Il était temps de sortir du placard », revendiquent les tenues d’époque. Boubous traditionnels, robes vintages, pantalons taille haute ou chemises aux motifs éclatants : les looks rétro refont surface et ravivent la nostalgie d’un temps qu’on croyait révolu. « Pour parfaire ce voyage dans le temps, il nous faut être présents », plaident, foulards savamment noués, bijoux dorés, souliers vernis… Des pieds à la tête, rien n’est laissé au hasard pour incarner avec style l’esprit des années 60 et/ou 90. Et tout cet arsenal se voit… et se fait voir. Il circule comme un vieux tract, mais avec une rapidité nouvelle. Les réseaux sociaux sont passés par là. Et ils ne sont pas dépassés : ils propagent cette vague nostalgique comme une traînée de poudre, unissant cheveux blancs et cheveux gris dans une même émotion.
Une douce mélancolie a gagné les cœurs, dans notre cher Sénégal, pour ces décennies, les années 60 à 90, souvent fusionnées à tort en une seule, idéalisée comme insouciante. Désorientée par l’époque contemporaine, la génération Z se lance à la recherche d’un temps… d’une danse perdue. Une danse pleine de souvenirs, portée par un regain d’intérêt pour la mode, mais aussi pour la musique. Ce n’est pas un hasard si le couplet de Kiné Lam (« Weundelu, taxawalu, tambabalu ») revient sans cesse, souvent en mode dérision selon le camp d’appartenance, mais toujours viral. Ce n’est pas non plus un arbre qui cacherait une forêt, une forêt déjà peuplée de sonorités diverses et bien vivantes. Le « Baye Wali » de Ouzin Ndiaye se retrouve jeune. Il fait désormais âge égal avec l’insouciant dansant « Mbargueth » du jamais démodé Youssou Ndour. Maty Thiam « Dogo », belle-fille de Kiné Lam, Ndella Xalass, Ndeye Seck « Signature », Adji Gana Diop… ou encore celle qui a inventé la classe bien avant que la classe n’existe elle-même : Soda Mama Fall… Tous reprennent du service dans les playlists de jeunes connectés à l’ancien temps.
À Dakar, les jeunes s’approprient les codes d’une époque qu’ils n’ont pourtant pas connue. Mais, comme disait un ancien Premier ministre français, « dans la distribution, il n’y a pas de jaloux » : les régions ne sont pas en reste. Louga, fidèle à son statut de référence culturelle et de berceau de créativité, ne s’en laisse pas conter. Les « foureuls » aux allures vintage foisonnent au-delà de la cité du Ndiambour. Et dans bien d’autres de nos contrées, on assiste à une « joierie » organisée : ces moments où, l’après-midi, des hommes se réunissent pour arroser une bande de sable, la rendre stable et plate…
Comme dans le conte de Cendrillon, où la citrouille devient carrosse à minuit, ici, cette bande de sable se transforme à la tombée de la nuit en un podium, grâce à une bâche posée au sol, pour arbitrer les meilleurs déhanchés. La nostalgie s’affiche aussi sur les écrans. De vieux films refont surface, notamment ceux qui dépeignent le Dakar et le Sénégal d’antan. La Noire de…, du génial Ousmane Sembène, redécouvert près de 60 ans après sa sortie (1966), en est l’exemple parfait. On y retrouve les blessures encore ouvertes de Mbissine Thérèse Diop, première actrice africaine à avoir osé se dévoiler à l’écran, simplement vêtue d’un slip, un affront, à l’époque, pour les ancêtres moralisateurs de Jamra et autres censeurs. Ce grand raout généralisé dans nos villes et nos villages en dit long sur notre époque. C’est celle d’une génération, notamment la Z, en quête de simplification et de sens, attirée par une époque perçue comme plus légère. C’est un miroir inversé de la way of life des boomers et autres soixante-huitard, mais avec des jeunes lucides, conscients de ne pas toujours être à leur place, qui décident, donc, de s’évader… dans une autre époque.
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