La pauvreté est un phénomène universel lié intrinsèquement à l’existence humaine. Elle est causée en majeure partie par des facteurs structurels et conjoncturels, ayant des conséquences néfastes sur nos sociétés. En effet, les systèmes économiques n’ont jamais cessé de mettre en œuvre des stratégies adéquates afin de la réduire voire l’éradiquer.
Dans cette optique, les pauvres eux-mêmes s’investissent toujours pour trouver des solutions de survie pour pouvoir en sortir, mais avec des solutions qui n’honorent pas souvent l’éthique et le bien-être d’une société, comme par exemple : « l’économie des expédients ». Ainsi, le système économique islamique n’a pas dérogé à la règle, car Il a pu instaurer dans ses paradigmes et dispositions pour lutter contre la pauvreté un outil nommé : «Zakaat». Cette dernière est un mécanisme de redistribution consistant à réduire les disparités et les inégalités entre pauvres et riches à travers un prélèvement obligatoire effectué (avec une manière bien définie par des textes spécifiques) sur des ressources, et que l’on redistribue par la suite, à des catégories de personnes différentes qui sont au nombre de huit.
De ce fait, depuis son imposition, elle reste un facteur primordial pour quelconque société musulmane ayant la volonté de réduire le ratio de la pauvreté par rapport à la population. Dans ce sillage, l’histoire du « Calife » Omar-ben-Abdel-Aziz en est une parfaite illustration. Il a connu au cours de son règne des succès hors pair dans sa politique socio-économique, entre autres l’éradication de la pauvreté au point de ne plus trouver de demandeur de la zakat dans sa province. L’explication de cet exploit hors du commun se situe sans nul doute dans l’établissement d’une très bonne politique relative à l’Économie sociale et solidaire (Ess) dans laquelle la Zakaat a été bien représentée. D’où la conclusion de dire que : la Zakaat se doit d’être, pour un pays musulman dans ce monde contemporain, l’outil fondamental par excellence pour la lutte contre la pauvreté.
En sus, dans le monde moderne, l’efficacité de cet outil n’a pas tardé à se faire remarquer dans certains pays qui ont réussi à l’institutionnaliser en le rendant obligatoire pour toute personne ayant rempli les critères d’être prélevée. Ainsi, à travers des appareils mandatés par les État respectifs de ces pays, des centaines de millions voire milliards sont collectées et redistribuées aux ayants droit, conformément aux textes établis à cet effet.
En guise d’exemple, le Royaume d’Arabie Saoudite, étant un État moderne qui jouit de sa souveraineté, ses dirigeants successifs ont pu institutionnaliser la Zakaat, commençant par le fondateur, le Roi Abdulaziz qui a pris le décret royal n° (17/2/28/8634) du 29/06/1370H correspondant au 04/06/1951, portant les directives permettant à officialiser la collecte de la Zakaat conformément aux dispositions de la Charia islamique, de même, le décret royal n° (M/40) du 2 Rajab 1405H, correspondant au 24/03/1985, pris par le Roi Fahd Ben Abdul Aziz Al-Saoud, portant l’obligation de la collecte de la Zakaat auprès des entreprises, des institutions et des individus soumis à la Zakat, ainsi que la décision du Conseil des Ministres n° (126) du 30/02/1436H, stipulant dans la clause n° 02 y afférente, autorisant le ministre des Finances à prendre les décisions nécessaires pour mettre en œuvre le décret royal n° (M/40) du 7/2/1405H susmentionné.
De même, sur la gouvernance du serviteur des deux Saintes Mosquées, le Roi Salman Ben Abdul Aziz Al-Saoud, le Conseil des Ministres a publié le 22/09/1442H, correspondant au 04/052021, la décision n° (570) qui comprenait l’approbation de l’organisation relative à la Zakaat, à l’Impôt et à la Douane, visant à regrouper l’Autorité générale de la Zakat et des Impôts et l’Autorité générale des douanes en une seule direction appelée « Autorité générale de la Zakaat, des Impôts et des Douanes », pour plus d’efficacité et d’efficience par rapport aux rôles que ses trois leviers jouent dans la développement socioéconomique d’un pays surtout en terme de mobilisation et de réallocation des ressources publiques.
En réalité, ce package de mesures allant dans le sens d’établir des fondements juridiques solides en guise de base légale, régissant la collecte de la Zakaat au sein du Royaume, a permis à l’État d’optimiser le rendement de la Zakaat pour le bien-être des populations les plus vulnérables dans la société. Dans cette logique, le Département saoudien de la Zakat et des Revenus, a pu collecter en terme de Zakaat, au cours de l’année 2014, selon les estimations, un montant qui s’élevait à 28 milliards de riyals, soit environ 7 milliards 460 millions de dollars. Et cette somme a été transférée à l’Agence en charge des affaires relatives à la sécurité sociale qui relève du Ministère des Ressources humaines et du Développement social, étant l’Agence gouvernementale compétant à distribuer les fonds de la Zakaat, en attribuant des allocations mensuelles aux nécessiteux, tout en les soutenant avec des programmes de renforcement de capacité, visant à améliorer leur niveau de vie, ainsi qu’en mettant en œuvre des projets entrepreneuriaux au profit des bénéficiaires qui sont en mesure de travailler.
Cependant, le Sénégal, pays majoritairement musulman avec un taux d’environ 95%, n’est jamais parvenu, au passé, à tirer avantage dans la Zakaat pour faire face aux inégalités sociales. Ce qui constitue une véritable problématique et un grand paradoxe. En effet, ceci est dû à d’innombrables facteurs. D’une part, on constate l’absence d’une législation promulguée par l’État concernant la gestion du prélèvement et de la redistribution de la Zakaat, de même, un vide légal pour les privés qui veulent s’organiser. D’autre part, les organisations spécialisées dans la Zakaat ont longtemps fait défaut. Comme on peut noter aussi, une longue période de pratiques coutumières marquée par une compréhension erronée voire une ignorance des principes zakaataires aussi bien dans l’élite intellectuelle que dans la masse. C’est sous l’emprise de ce climat anarchique au Sénégal que des personnes conscientes des enjeux ont mis en place une structure spécialisée à l’économie solidaire dans un cadre de vie communautaire musulman.
Ces derniers n’ont pas tardé à abattre un travail de Titan pour la réalisation de ladite structure, en joignant les textes à la réalité. Sur ce, ils se sont investis corps et âme, défiant toutes les entraves administratives et socio-culturelles pour aboutir en fin de compte à la mise en place d’une Organisation zakaataire à l’échelle nationale en 2009 nommée à l’époque : Fonds sénégalais pour la Zakaat (Fsz), devenant la première expérience de ce genre au Sénégal. Elle est reconnue en toute justice par l’État en 2010. Il est de ses objectifs : l’administration de la Zakaat, le recouvrement et l’affectation aux bénéficiers (ères). Depuis sa création, il a pu réaliser beaucoup de résultats dans le cadre de l’Ess malgré des entraves comme le manque criant de ressources humaines et l’environnement anarchique, entres autres.
En dépit de ces conditions défavorables, le Fonds sénégalais pour la zakaat et le Waqf est parvenu à collecter durant les années de recouvrement (2009-2024) un montant qui s’élève à 367.031.738 FCfa. Une somme importante et considérable eu égard aux conditions de travail très précaires dans lesquelles le Fonds travaille, tels que le manque de ressource pour recruter des employés travaillant exclusivement pour le Fszw et le vide juridique dans l’environnement zakaataire du Sénégal. Mais, en même temps, un total très mesquin si on l’analyse sous l’angle du potentiel national de la Zakaat au Sénégal, car, ce dernier s’élève à des milliards de FCfa. Ainsi, ces fonds collectés durant cette période (2009-2024) sont attribués aux financements suivants:
1. Allocations familiales pour des familles démunies
2. Dossiers d’aides aux Daaras (école coranique)
3. Prises en charge des dossiers de santé
4. Attributions des bourses d’études en faveur des étudiants issus des familles défavorisées
5. Financements des microprojets.
Nous constatons en toute évidence, une diversité dans les catégories de bénéficiaires, car, le Fszw ne se limite pas seulement à la redistribution des allocations familiales, il s’étend au-delà, en prenant compte des facteurs essentiels du développement économique à travers le financement des acteurs issus des familles les plus vulnérables ayant des microprojets et en se penchant aussi sur la formation des ressources humaines, qui est en quelque sorte le facteur fondamental pour aspirer à l’expansion économique dans tous ses aspects. Eu égard à cela, on peut déduire que le Fszw dans son rôle consistant à gérer la Zakaat (la collecte et son affectation) est juste un intermédiaire entre les contribuables et les ayants droit. Alors que la collecte est sa seule source de financement pour atteindre ses objectifs, elle reste très aléatoire compte tenu de la réalité. Ceci explique la difficulté qu’éprouve le Fszw pour combler le fossé entre les ressources financières collectées et les demandeurs d’aide.
D’où la nécessité de trouver des solutions pour l’autonomisation financière qui pourrait transformer le Fszw à une véritable entreprise sociale islamique génératrice de revenus, au lieu de se limiter à la coordination entre les bailleurs et les bénéficiaires, et de surcroît, se lancer dans la diversification de ses sources de financement en guise de garant de la pérennité du Fonds. Par conséquent, l’entité du Fszw s’est mise en quatre afin de concrétiser lesdits vœux pour surmonter en quelque sorte cette conjoncture. Ceci a débouché à l’idée de prendre une nouvelle tournure consistant à y intégrer un mécanisme de la finance islamique solidaire autre que la Zakaat, susceptible de remédier à la situation factuelle, en l’occurrence le Waqf. Le concept de ce dernier dans le Droit islamique est : « L’immobilisation d’un bien et l’affectation permanente ou temporaire de son usufruit à une œuvre de charité et de bienfaisance publique ou privée.», d’où le changement du nom de cette structure zakaataire vers le «Fonds sénégalais pour la Zakaat et le Waqf», car elle s’appelait initialement avant qu’elle prenne cette nouvelle tournure, le «Fonds sénégalais pour la Zakaat».
Dans cet esprit, le «Fonds sénégalais pour la Zakaat et le Waqf» dans sa nouvelle orientation avait eu l’initiative de bâtir un immeuble composé de R+7 et divers, en guise de Waqf dont la pose de la première pierre est déjà faite, depuis le samedi 20 juillet 2019. Le site de ce projet se situe dans la zone de recasement Ouakam-Aéroport. En premier lieu, l’État sénégalais à l’époque n’a pas tardé à réagir en octroyant audit projet un terrain d’une superficie de 408 m2 à Ngor-Almadies. Par ailleurs, le coût de la construction est estimé initialement à 1.477.084.214 FCfa, répartis en action-donations, d’où l’importance pour tous les sénégalais d’apporter leurs pierres à l’édifice, afin que cet immense projet du Waqf puisse voir le jour dans les plus brefs délais. Toutefois, l’usufruit (les richesses que l’immeuble générera) sera alloué aux nécessiteux, plus précisément aux domaines suivants: le bien-être des populations (accès à l’eau potable, à la santé…), la création d’institutions de microfinance islamique et consort.
Ainsi, le Fonds a comme partenaire officiel pour la réalisation dudit projet, la Haute autorité du Waqf (Haw) étant une autorité administrative indépendante, sous la tutelle du Ministère des Finances et du Budget. Au terme de cette contribution, on peut constater que le Fonds sénégalais pour la Zakat et le Waqf est une véritable entreprise sociale islamique, en d’autre terme (dans le jargon financier), le Fonds est considéré comme une institution financière islamique non-lucrative qui fonctionne selon les exigences planétaires. En guise d’affirmation, ses objectifs dans la lutte contre la pauvreté sont en parfaite adéquation avec les objectifs mondiaux, également nommés, Objectifs de développement durable (Odd) à l’horizon 2030, initiés par les Nations Unies tels que, pas de pauvreté, bonne santé et bien-être, éducation de qualité, eau propre et assainissement, consommation et production durables et autonomisation des femmes. NB : La Zakaat et le Waqf sont deux mécanismes qui se complètent et renforcent mutuellement leur rôle normal. De ce fait, il est préférable de les séparer succinctement afin que chacun puisse fonctionner de manière optimum pour remplir les objectifs qui lui sont assignés. Donc, ceci n’est qu’un début d’une longue histoire que le Fonds sénégalais pour la Zakat et le Waqf est en train de rédiger dans la nomenclature économique afin qu’il soit une source d’inspiration pour nous ainsi que pour les générations à venir.
Aboubacar Thiébo CISSÉ Email : aboubacre5@gmail.com