Le Sénégal vient de vivre une situation préoccupante concernant l’approvisionnement des officines de pharmacie et des structures publiques de soin, en solutés de perfusion, médicaments essentiels dans le traitement de nombreuses pathologies, notamment pour maintenir l’hydratation des patients et administrer des médicaments par voie intraveineuse. De manière générale, les ruptures d’approvisionnement entraînent des conséquences négatives se traduisant par :
Des difficultés de prise en charge des patients, surtout dans un contexte de flambée épidémique, ce qui aggrave ses conséquences sur la santé publique.
1- Un risque accru de complications médicales dues au manque de traitements appropriés ;
2- Une surcharge de travail pour le personnel médical qui doit gérer les pénuries ;
3-Une augmentation potentielle des coûts de santé pour les patients et le système de santé due à la prolongation de 4– la durée d’hospitalisation des malades.
Cette crise remet en lumière la nécessité de développer une industrie pharmaceutique, viable, durable et adaptée aux besoins de santé des populations. Le gouvernement a déjà mis à jour la loi sur la Pharmacie en 2023 et pris des décrets d’application en faveur du développement du secteur. Il reste pour notre Etat, l’urgence de prendre les mesures complémentaires aux réformes déjà adoptées pour renforcer la production nationale de médicaments et autres produits pharmaceutiques.
Le Sénégal importe actuellement 95% de ses médicaments et 99% de ses vaccins. En valeur, c’est plus de 180 milliards de FCFA (260 millions d’euros) qui ont servis à acquérir des médicaments à l’étranger en 2023 contre 150 milliards FCFA (228 millions d’Euros) en 2019 et plus de 400 milliards de FCFA (600 millions d’Euros) visualisés en 2035. Pour mémoire, l’Etat sénégalais vise à couvrir un tiers des besoins en médicaments d’ici 2030 et jusqu’à 50% d’ici 2035 soit un enjeu de taille pour la production locale puisque le marché pharmaceutique doublera entre 2020 et 2035 (selon une étude McKinsey-2021).
Cette forte dépendance aux importations rend le pays vulnérable aux fluctuations du marché international et aux ruptures d’approvisionnement frappant les producteurs étrangers. L’industrie pharmaceutique locale ne compte qu’une demi-douzaine de producteurs dont un producteur de solutés, mais elle n’arrive pas à être performante malgré l’engagement financier important pris par l’Etat en faveur de deux unités industrielles en difficulté.
Les mesures attendues par l’ensemble des acteurs contribueront justement à rendre plus attractif l’environnement économique de la production locale pharmaceutique qui est en compétition avec les importations. La plupart des fabricants à l’étranger bénéficient de politiques de soutien de leur Etat (électricité à très bas prix, subventions, exonérations diverses, abattement fiscal sur le capital investi), leur permettant de circonscrire tout risque de concurrence dans les pays d’importation comme en Afrique en appliquant les tarifs les plus bas. Il s’agit d’une stratégie permettant de dominer par les coûts, les petits marchés fragmentés au Sud du Sahara, incapables d’assurer un niveau de compétitivité-prix suffisant devant les nombreux freins et obstacles auxquels ils doivent faire face, dans la production de médicaments génériques.
Ce phénomène de perte de compétitivité touche la France, grand producteur mondial de médicaments. Celle-ci lutte pour conserver une industrie pharmaceutique confrontée à l’abandon progressif de la production des molécules simples génériques, devenue peu rentable : selon les chiffres du LEEM, le taux de rentabilité de production des médicaments génériques a baissé en effet de 4 à 0,3% entre 2018 et 2021. Le taux d’importation de médicaments progresse donc chaque année, marquant la prééminence des molécules innovantes destinées au traitement des maladies chroniques non transmissibles sur les molécules simples. Cependant, en novembre dernier, les laboratoires SERVIER ont confié au génériqueur indien MICROLABS© le soin de produire de l’Amoxicilline destiné au marché français, malgré une volonté politique affirmée de relocaliser sur le territoire français la production de matières premières et de médicaments constituées de molécules simples.
Au Sénégal, la médecine avance à grands pas. Les premières greffes de rein ont été réalisées en 2023 par une équipe de chirurgiens sénégalais. La fécondation in vitro et la procréation médicalement assistée sont devenues courantes. La greffe de moelle est en projet. Pour le diabète et l’hypertension artérielle, affections qui touchent une part importante de la population au Sénégal (respectivement 6% et 24% de taux de prévalence-OMS 2022), les complications peuvent être améliorées apportant une meilleure qualité de vie aux patients. Il revient à la Pharmacie de s’adapter en procurant à cette médecine les médicaments innovants qu’elle réclame.
Ces molécules restent malheureusement inaccessibles à la plupart des Sénégalais malgré les efforts des pharmaciens sur les prix, et leur disponibilité n’est pas assurée, compte tenu du poids très faible que représente le marché africain du médicament (2% du marché mondial). Ces médicaments ne sont pas enregistrés au Sénégal pour la plupart et sont qualifiés de « hors visa » ; ils sont importés sur autorisation spéciale et temporaire de l’Autorité Sénégalaise de Réglementation, et sont sujets à de fréquentes ruptures d’approvisionnements auprès des fournisseurs européens. Il existe en effet des circuits parallèles d’exportation entre pays de l’UE de ces médicaments, selon le niveau de tarif appliqué.
L’année 2025 marquera le 4eme anniversaire de l’adoption en octobre 2021 par l’Etat du Sénégal d’un ambitieux Plan de relance de l‘industrie pharmaceutique destiné à réduire le risque de pénuries futures et à renforcer la souveraineté pharmaceutique du Sénégal.
Le nouveau Plan de développement Sénégal 50 présente dans son Master Plan stratégique 2024-2034 l’industrie pharmaceutique comme moteur de croissance faisant partie du pilier 3 des industries manufacturières.
C’est le moment décisif pour nos nouveaux dirigeants d’appuyer sur le bouton de départ en adoptant les mesures-clefs :
– Renforcement de la gouvernance des réformes par l’appui institutionnel et financier de la Delivery Unit, structure administrative logée au ministère de la Santé ; l’appui des Partenaires TF est à louer.
– Soutien à l’Agence sénégalaise de Règlementation Pharmaceutique lui permettant de se maintenir au niveau 3 de maturation de l’OMS qu’elle vient d’atteindre, garantissant un système de réglementation stable et fonctionnel. Cette qualification signifie que le Sénégal (aux côtés de 7 autres pays en majorité anglophone), est en mesure d’attirer les laboratoires et d’inciter à la production sous licence pour approvisionner des marchés africains voire européens ;
– Traitement diligent et stratégique du cout des facteurs de production encore trop élevé et de la TVA de porte qui pèse lourdement sur la capacité à rendre pérenne la production locale (électricité, TVA sur les intrants et les équipements, etc.). Ces facteurs empêchent les producteurs locaux d’assurer un niveau de compétitivité satisfaisant face aux importations ; Des dispositifs douaniers communautaires comme le statut de perfectionnement actif, permettent de contourner certains obstacles liés à la taxation des intrants à l’importation mais ils sont lourds à mettre en œuvre et à suivre.
– Accès aux marchés publics : la SEN-PNA doit être en mesure de booster l’industrie locale par des contrats de performance à moyen terme, afin de lui faire bénéficier des effets volumes sur les couts de production pour accéder à des tarifs financièrement plus accessibles aux populations. Pour cela, l’Etat devra la doter de moyens financiers conséquents qui lui permettront de se faire suffisamment approvisionner en respectant ses échéances de paiement.
– Facilitations douanières avec le statut d’entreprise exportatrice accordé aux deux futurs hubs pharmaceutiques qui seront prochainement créés sur le territoire sénégalais contribuant ainsi à améliorer la disponibilité et la distribution des médicaments dans la sous-région.
– Et enfin plaidoyer pour une harmonisation effective des AMM sous-régionales à l’instar des AMM de médicaments vétérinaires délivrées par la Commission de l’UEMOA sur avis du Comité Régional du Médicament Vétérinaire (CRMV).
Ces efforts attendus de l’Etat du Sénégal doivent être soutenus par un engagement politique et financier continu pour assurer la sécurité sanitaire des 40 millions d’habitants que comptera le pays en 2050.
Par le Dr Jules-Charles KÉBÉ,
Pharmacien Directeur Général – Duopharm Sa,
PCA- Parenterus Sa