Le 24 mai 2025, le salon International de l’habitat se clôturait dans l’enthousiasme, avec des ambitions affichées : ville durable, innovation, appropriation culturelle, habitat intelligent. Le lendemain, à Touba, un immeuble en construction s’effondrait faisant au moins 11 morts et des blessés. Deux événements, deux réalités qui s’entrechoquent : L’une tournée vers un futur ambitieux, l’autre nous ramenant brutalement à la réalité d’un présent marqué par la négligence et l’improvisation.
Mes pensées les plus sincères vont aux familles des victimes. La meilleure manière de leur témoigner notre compassion c’est de faire un constat lucide accompagné de solutions concrètes. Les défaillances Structurelles de notre secteur du bâtiment :
Ce drame est le deuxième en moins de deux semaines. Et il ne sera malheureusement pas le dernier si rien ne change. Loin d’être une fatalité, Il illustre cruellement les défaillances structurelles de notre secteur du bâtiment :
Des procédures d’attribution de permis de construire inadaptées aux enjeux socio-économique et à la réalité du secteur du BTP au Sénégal. Le permis se résume aujourd’hui à une simple formalité administrative, dénuée de son rôle primaire de contrôle, d’alerte, d’encadrement et de validation.
Une défaillance généralisée du contrôle technique qui se traduit par une absence de mécanisme indépendant de vérification des structures avant, pendant et après les travaux. Malgré la création de l’Inspection Générale du Bâtiment (IGB) en 2010 avec pour mission principale de prévenir les effondrements et d’assurer le contrôle des chantiers, l’IGB, surement par manque de moyens, reste aujourd’hui largement en retrait par rapport à ses objectifs initiaux. Si son rôle est fondamental dans la sécurisation des constructions, sa capacité d’intervention réelle demeure marginale. Faiblement dotée, elle intervient rarement en amont des projets, là où se prennent pourtant les décisions structurantes. Sur le terrain, ses visites se limitent souvent à vérifier l’existence formelle de plans de structure, sans réel contrôle de leur exécution. Dans ce contexte, certains maîtres d’ouvrage n’hésitent pas à faire réaliser des plans a posteriori, simplement pour régulariser leur situation et lever des arrêtés de chantier. Un contournement qui en dit long sur la déconnexion entre les mécanismes de contrôle et la réalité des chantiers. Quant aux études géotechniques elles sont souvent ignorées, même dans les zones à risque.
Des lenteurs administratives sous suspicion de corruption, qui découragent les démarches légales et favorisent l’informel ;
Une corruption encore très présente qui fragilise tout le système et facilite les constructions sans autorisations administratives.
Une création d’entreprises de BTP facilitée par l’APIX, sans aucune exigence de qualification ; Chacun peut se lever et s’ériger en entrepreneur du bâtiment sans aucune qualification en la matière.
Une main-d’œuvre non formée, laissée à elle-même ; avec moins de 15% des ouvriers du BTP disposant d’une certification reconnue.
Une part encore trop écrasante de l’auto-construction sans recourt à un professionnel. Près de 70 % des constructions échappent à tout encadrement technique.
Une absence de culture du risque et des clients souvent mal informés, qui confient la réalisation de leur projet de vie à des intervenants sans expertise car attirés par de fausses économies.
Il est clairement établi que pendant que nous rêvons de villes durables et d’architecture ancrée dans nos réalités culturelles, nos fondations humaines, techniques et réglementaires s’effritent.
Cinq Solutions majeures pour un Jubanti efficace.
Nous ne pouvons pas bâtir la ville du futur sur des structures fragiles et un système complaisant. Des solutions existent. Elles sont concrètes, réalistes et immédiatement applicables
1. Réformer en Urgence le cadre légal et Conditionner les permis de construire à un contrôle technique rigoureux et obligatoire
Chaque projet devrait obligatoirement passer par une validation de plans d’exécution, d’études de sol, et d’identité des entreprises qualifiées. Au Sénégal, ce processus devrait être incontournable pour assurer des constructions plus sures et validées en amont.
Le code de la construction, vieux de plusieurs décennies, doit être actualisé en y intégrant à minima :
– L’obligation d’une étude géotechnique préalable pour tout projet
– L’instauration d’un contrôle technique indépendant avec une obligation de vérification des fondations et des structures. Face à la multiplication des chantiers, souvent dans des zones sensibles (fortement urbanisées) il est impératif de renforcer l’IGB et de repenser sa gouvernance. Deux leviers doivent être activés :
– Impliquer l’IGB dès la phase d’attribution des permis de construire, avec un pouvoir de blocage ou de recommandation contraignante si les conditions de sécurité ne sont pas réunies ;
– Décentraliser et compléter son action à travers un réseau de bureaux de contrôle agréés, opérant selon un référentiel national et agissant en délégation de service public pour couvrir l’ensemble du territoire.
2. Créer un registre national des entreprises qualifiées et les certifier
Toute entreprise active dans le bâtiment doit prouver ses compétences, former son personnel de chantier et assurer un encadrement technique obligatoire de ses chantiers. Cela procure plus de traçabilité et moins d’abus.
3. Former massivement ouvriers et artisans par la mise en place d’un programme national de certification des ouvriers et artisans
Avec les centres de formation professionnelle, le 3FPT, et le secteur privé. L’objectif devra être de certifier les compétences et de structurer les parcours métiers afin d‘aboutir à une main d’œuvre compétente gage de chantiers sécurisés et d’emplois valorisés.
4. Digitaliser les procédures et raccourcir les délais
La création d’une plateforme unique « PermisExpress », transparente, interconnectée entre APIX, Cadastre, impôts, collectivités doit garantir l’obtention d’une réponse sous 30 jours. Au-delà du gain de temps pour les entreprises c’est aussi un moyen efficace de lutter contre la corruption et l’informel.
5. Sensibiliser les citoyens
Le plus grand chantier sera sans nul doute la sensibilisation des citoyens car formaliser le secteur c’est rendre la construction plus chère. Il sera donc nécessaire, en toute pédagogie attirer l’attention sur le fait que construire avec un non-professionnel, c’est exposer sa famille au pire. Il faut faire évoluer les mentalités, revaloriser la compétence, la sécurité, la rigueur. Cette campagne devra s’accompagner de mesures incitatives pour les constructions conformes (réduction d’impôts, facilité d’accès au crédit …)
En définitif, le Salon de l’Habitat à Diamniadio nous a montré ce que nous voulons construire demain. Touba nous rappelle ce nous devons sécuriser aujourd’hui.
Pas de futur urbain sans rigueur aujourd’hui.
Pas d’habitat durable sans professionnels qualifiés.
Pas de politique ambitieuse et crédible sans un secteur assaini et structuré.
Le Sénégal mérite mieux que des immeubles qui tuent. Nous avons besoin d’une volonté politique forte pour construire ensemble un secteur du BTP fort, professionnel et sûr.
Dr. Mamadou NGOM
Entrepreneur, Chef d’entreprise &
Membre de MONCAP Diaspora
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