Au Sénégal, la santé privée représente une part essentielle de notre système de soins. Pourtant, elle étouffe lentement. Et ce n’est pas la qualité des prestations ou la compétence des professionnels qui sont en cause, mais un mal bien plus insidieux : la défaillance du système d’assurance et de prévoyance maladie. Aujourd’hui, l’assurance santé, censée garantir l’accès aux soins, est devenue pour la santé privée un goulot d’étranglement qui freine son expansion, mine sa viabilité économique et affaiblit son rôle dans l’édifice sanitaire national.
La réalité est qu’on note une couverture en théorie et de grosses failles en pratique.
Depuis l’instauration de l’assurance maladie obligatoire pour les travailleurs du secteur privé, les Institutions de Prévoyance Maladie (IPM) devaient devenir le socle d’un accès équitable et durable aux soins. Mais plus d’une décennie après, le constat est amer : faible taux d’adhésion des entreprises, plafonds de couverture dérisoires, remboursements tardifs, et exclusions trop nombreuses.
Quant aux compagnies d’assurances privées, elles tentent de compenser leur prise de risque en imposant des conditions d’accès restrictives, excluant ainsi une bonne partie de la population à revenu moyen ou modeste. La logique commerciale supplante alors l’objectif de santé publique.
Le secteur privé de la santé est constamment en tension et les patients en souffrance.
Dans nos villes, des cliniques privées ferment ou réduisent leurs services par manque de liquidité. Les retards de paiement des IPM et des assurances atteignent parfois plusieurs mois, voire une année entière ou plus.Les coûts de fonctionnement des structures privées sont élevés (équipements, personnel, énergie), mais les tarifs de remboursement sont souvent déconnectés des réalités économiques: la nomenclature des actes professionnels n’a pas évolué depuis 1983.
Le résultat,Un double piège :
• Les prestataires ne peuvent pas survivre sans paiement rapide.
• Les patients, eux, sont contraints de payer de leur poche, ou de renoncer aux soins, souvent vitaux surtout pour les malades atteints d’affection à longue durée, ou les patients qui ont besoin de soins lourds …
C’est ainsi que le secteur privé, au lieu de soulager le système public, est freiné, fragilisé, parfois discrédité et les citoyens perdent confiance dans un système qui devait justement leur garantir protection.
L’angle mort de ce système de prise en charge est le secteur informel
Un autre problème de fond demeure ignoré : plus de 80 % des actifs sénégalais évoluent dans le secteur informel. Ils ne sont ni couverts par une IPM, ni par une assurance privée, ni(bien souvent )par une mutuelle de santé. Pour eux, tomber malade, c’est risquer la ruine.
Les tentatives de couverture maladie universelle ont produit des avancées notables, mais restent inachevées. Dans la pratique, les travailleurs informels continuent de payer leurs soins directement, souvent au prix de sacrifices économiques majeurs. La protection santé, censée être un droit, devient un luxe.
Dans ce contexte, ne pas réformer l’assurance et la prévoyance maladie revient à laisser la santé privée se dégrader, et à accentuer les inégalités.
Il est de notre devoir à tous d’agir en prenant des mesures concrètes pour éviter la mise en danger de la vie des sénégalais.
L’état doit faire respecter l’obligation légale d’adhésion aux IPM, et sanctionner les entreprises qui s’y soustraient.
Il doit moderniser les mécanismes de création et de gestion des IPM (digitalisation, transparence, normalisation des procédures).
L’état doit aider à la mise en place d’un système de remboursement plus rapide, fiable, et équitable envers les prestataires privés. Il faut un fond de garantie alimenté par le cautionnement des IPM et Assurances permettant ainsi un paiement dans les délais des prestations. Il faut étendre la couverture santé au secteur informel, via des micro-assurances, des mutuelles digitales, ou des partenariats innovants. Il est aussi important d’encourager les conventions justes entre assurances / IPM et structures privées, avec des tarifs adaptés au coût réel des soins.
La santé n’est pas une dépense : c’est un investissement. Un pays ne peut pas se développer durablement si sa population tombe malade sans filet de sécurité, ou si ses prestataires de soins privés(souvent les plus proches, les plus disponibles, les plus innovants)sont abandonnés par les mécanismes de protection.
Il nous faut un pacte renouvelé entre État, prestataires, financeurs et citoyens. Ce pacte devra reposer sur trois piliers : la justice (tous doivent être couverts), l’efficacité (les remboursements doivent être fluides), et la durabilité (les acteurs doivent pouvoir continuer à offrir des soins de qualité).
C’est à ce prix que nous construirons un système de santé digne, équitable, et résilient. C’est à ce prix que la santé privée pourra jouer son rôle. C’est à ce prix que nous pourrons affirmer : oui, au Sénégal, être malade ne signifie plus être seul.
Dr Serigne Falilou Samb
Conseiller National de l’Ordre des médecins du Sénégal
Président de l’association des cliniques privées du Sénégal